Sorti en 1988, soit à peu près en même temps que Le Café des Jules, Once More (Encore) pourrait en quelques sortes être le pendant masculin de Corps à cœur sorti neuf ans plus tôt. Soit Louis, un quadragénaire en pleine crise conjugale avec sa femme, qui prend conscience de n’avoir jamais pleinement vécu ses désirs le jour où il succombe aux avances d’un homme entreprenant. Cette découverte de son homosexualité amène Louis à fréquenter les lieux de rencontres et à multiplier les partenaires alors que le sida, encore mal connu du grand public (le récit commence à la fin des années 1970 et se poursuit sur le début des années 1980), commence à faire des ravages auprès de ceux qui ne sont pas encore informés. Comme on pouvait s’y attendre de la part de Paul Vecchiali, Once More (Encore) est tout sauf un film à thèse et ne se fixe pas pour objectif de sensibiliser les masses au drame sanitaire qui ravage la communauté homosexuelle pendant les années 1980 et 1990 en surchargeant le message de prévention. Au contraire, le réalisateur prend le parti – que certains ont probablement jugé polémique à l’époque – de faire feu de tout bois en intégrant totalement la maladie dans la quête de désir de cet homme. Jusqu’ici éteint et absent de lui-même, il intègre la mort dans son quotidien, ne s’étant peut-être paradoxalement jamais autant senti en vie. Mais loin du naturalisme complaisant des Nuits fauves de Cyril Collard qui allait émouvoir l’opinion publique quelques années plus tard, le film de Paul Vecchiali entend transcender la menace de la solitude et les stigmates du Sida. Il se risque même à proposer un film en-chanté qui marche sur les traces de Jacques Demy, l’acteur Jean-Louis Rolland ayant fait ses armes dans Une chambre en ville et Trois places pour le 26.
Musique de chambre
Sur un dispositif qui rappelle également le faux huis clos dans Le Café des Jules, Once More (Encore) s’ouvre sur une chambre à coucher où Louis et sa femme rejouent la comédie de la séparation. Filmée comme une scène de théâtre au milieu de laquelle trône le lit objet de toutes les discordes (évocation du désir et de la mascarade à laquelle peut condamner la vaine quête de l’autre), la chambre compacte elle aussi le temps et l’espace : les ellipses s’y succèdent sans souci de réalisme tandis que le couple et leur fille entrent et sortent à leur guise, faisant des autres pièces qu’on devine par un simple encadrement de porte un hors-champ où se déroulent en sourdine d’autres tragédies. Parfois nus, les corps se montrent sans fard, offerts ou interdits, exposés au regard de l’autre et à celui du spectateur. Il y a de la cruauté à de nombreux moments, notamment lorsque Louis avoue à sa femme qu’il ne la désire plus depuis longtemps, qu’elle le dégoûte même dans ses tentatives pathétiques de lui procurer du plaisir. Seulement, cette cruauté n’est jamais l’expression d’une complaisance à scruter le visage d’une femme blessée se liquéfiant à l’écoute de cette terrible confession. Dits d’abord en hors-champ, ces mots pourraient tout aussi bien formuler les craintes de cette femme qui sait déjà qu’elle a perdu son combat mais reste malgré tout suspendue à l’espoir de l’expression d’un désir, même mensonger. Cette humiliation, Louis la vivra également de son côté lorsque, après être tombé amoureux d’un homme, ce dernier ne lui donnera aucune chance d’être aimé en retour. Mais pour notre héros et malgré les promesses qui se dérobent, il est déjà trop tard : le désir s’est emparé de lui comme au premier jour, comme une sorte d’aller sans retour, un abandon après de nombreuses années de retenue et de désir interdit. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que plane à de nombreuses reprises le fantasme de l’inceste entre Louis et sa propre fille.
Communauté aimante
Pour autant, Once More, (Encore) n’est pas seulement le portrait exclusif d’un homme égocentré. Loin de limiter son attention aux aventures sexuelles et sentimentales de son personnage principal, Paul Vecchiali s’attache à capter la circulation des désirs qui aimantent les différents personnages, entrechoquant leur passé et leurs rêves d’avenir. À rebours des codes propres au naturalisme, les partis-pris de mise en scène permettent à chacun de se réinventer au gré des situations : on pense bien évidemment à cette étonnante scène chantée au cours de laquelle les personnages rejoignent les uns après les autres le chœur conduit par Louis ou encore à cette émouvante parenthèse en plan-séquence où ce dernier, en convalescence sentimentale sur une plage, passe d’un proche à l’autre, se confiant sur ses blessures et recevant la bienveillance de ceux qui lui rendent visite. Mais finalement, c’est peut-être la femme de Louis à qui le récit offre la plus jolie rédemption. Cruellement démunie au cours des premières scènes du film, elle semblait être le personnage à qui le film refuse tout, ne lui laissant aucune chance d’élévation. Mais, dans les creux du récit, elle aussi finit par se réinventer en s’affranchissant du regard de son mari, prête à comprendre ses nouveaux besoins et le mettant en garde contre les ravages du sida. Et même si elle ne semble jamais tout à fait se remettre de cette séparation, le fait qu’elle ose lui demander à pouvoir observer les autres hommes faire l’amour rappelle que, même vécu par procuration, la quête du plaisir reste un beau moyen de s’ouvrir au monde.