On le sait au moins depuis La Classe américaine : Hazanavicius aime faire du cinéma lui-même la matière de ses films. Avec ses OSS 117, il avait montré un don impressionnant pour le pastiche, imitant à la perfection le style des films d’espionnage exotique des années 1950 et 60. On ne s’étonne donc pas plus que ça de le voir proposer aujourd’hui un film muet sur le passage au parlant… Le risque, à chaque fois, était de ne pas dépasser le stade de l’exercice de style malin, du fétichisme stérile. Or les films d’Hazanavicius, quoique un rien surestimés à notre goût, valent mieux que ça. D’une part, parce que s’y dessine mine de rien une cohérence absolue, fondée sur le postulat qui veut que les personnages éprouvent le monde comme le cinéma le représentait à leur époque. (S’il prend l’envie au réalisateur de faire un film dont l’action se situe avant 1895, on sera curieux de voir comment il s’en sortira…) D’autre part, parce que ces films parlent toujours aussi d’autre chose.
Les OSS 117, où Jean Dujardin déployait son sens inouï de la bêtise satisfaite et élégante, étaient ainsi des satires retorses de la sainte trinité des travers franchouillards – chauvinisme, misogynie, homophobie. (Retorses parce que, tout en faisant leur miel de l’humour douteux, elles délivraient par l’absurde une critique finalement bien-pensante tout en échouant à trouver auxdits travers une réponse dans la représentation – voir les personnages féminins, un peu ratés.) The Artist évoque, au-delà de l’époque où il se situe, tout passage d’une ère à une autre, et livre une belle ode naïve au renvoi d’ascenseur.
Le film a en effet le bon goût de ne jamais sombrer dans le second degré et s’avère plus touchant qu’on ne s’y attendait, épousant sans cynisme les formes du mélo muet. Ce qui ne l’empêche pas d’égrener les gags et les idées malicieuses. L’une d’entre elles, périphérique et quelque peu… chauvine – encore qu’on puisse y voir un hommage à la fréquente réussite des acteurs étrangers à Hollywood –, consiste à faire jouer les vedettes par des comédiens français et de cantonner les Américains (John Goodman, James Cromwell) aux rôles de sous-fifres (le réalisateur, le chauffeur). Une autre, plus fondamentalement liée aux enjeux, fait advenir le son dans le monde muet du film de manière aussi drôle que vertigineuse.
L’intrigue rappelle Chantons sous la pluie – sans les chansons, évidemment. À l’arrivée du parlant, une star du muet (Dujardin, toujours parfait avec sa classe intemporelle) sombre dans l’oubli tandis que la charmante figurante à qui il a un jour donné sa chance (Bérénice Bejo, qui dégage sans peine la fraîcheur enfantine et un rien voluptueuse des actrices du muet) accède au statut de starlette. De la résurrection de l’acteur has been, on ne dira pas plus que ça (et c’est déjà trop) : elle convoque le spectre de Gene Kelly de façon assez saisissante.
D’où vient alors que, malgré ses bonnes idées, sa facture impeccable, ses acteurs émouvants, le film laisse sur sa faim ? Peut-être justement à cause de ce côté trop propre : chacun a bien fait son travail mais le tout reste un peu monotone. Peut-être aussi parce qu’à l’écriture, comme dans les OSS 117, le travail n’a pas été si bien fait que ça et comporte ses faiblesses : les personnages manquent de consistance, le trajet narratif est un peu mécanique. Peut-être enfin parce qu’un tel projet était voué, par sa nature, à ne pas être beaucoup plus qu’une désuète déclaration d’amour au cinéma. Mais après tout, c’est déjà pas mal. Et puis le film offre tout de même – en attendant le Milou de Spielberg et Jackson ? –, le personnage de chien le plus attachant qu’on ait vu au cinéma.