Pour comprendre comment Ridley Scott est parvenu à signer avec Covenant le plus mauvais film de la franchise Alien, il faut d’abord saisir la logique qui gouverne ce nouveau volet. Le précédent film, Prometheus, feignait d’entreprendre une quête des origines (d’où vient l’humanité ?) pour retracer la chronologie d’une autre lignée (d’où viennent les xénomorphes, ces parasites mutants monstrueux ?). Cette substitution dramaturgique se couplait logiquement à la vampirisation d’un film par un autre – une odyssée spatiale, animée par l’excitation et l’émerveillement de la découverte d’un monde inconnu, progressivement dévorée de l’intérieur par une trame horrifique. Si l’opération n’était pas pleinement réussie (on peut reprocher à Prometheus d’être un film d’horreur plutôt convenu), cette stratégie narrative avait pour mérite de rattacher le wagon Prometheus au train Alien en faisant de l’enjeu figuratif majeur de la saga (l’avènement de l’altérité suprême, celle qui vient des profondeurs de notre propre corps) la clef de la résolution narrative : l’Alien, c’était finalement nous. Tel était le sens du premier plan (la naissance de l’humanité comme une mutation qui tourne mal) et du dernier (c’est l’homme lui-même qui se révèle être le chaînon manquant entre ses « créateurs » et les abominables xénomorphes). Que fait Scott avec Covenant, après cette clarification sans ambiguïté ? Il continue de creuser le même sillon, tout en opérant une nouvelle substitution : le vrai Alien du film – celui qui est autre, et qui en même temps nous ressemble –, ce n’est pas le xénomorphe, mais David, l’androïde interprété par Michael Fassbender, dont on apprendra qu’il a joué au Docteur Frankenstein entre les deux films.
Si l’idée n’est pas nécessairement mauvaise sur un plan strictement dramatique, elle accouche toutefois d’un scénario qui cherche paradoxalement à rejouer la trame fondamentale de la série (un vaisseau débarque sur une planète et tombe nez à nez avec l’espèce extraterrestre) tout en laissant sur le bas-côté ce qui fait le sel de la franchise. D’une apathie visuelle étonnante, Covenant abandonne le meilleur du premier volet (parties de cache-cache dans les intestins d’un vaisseau) et de Prometheus (foisonnement de lumières et d’incrustations d’images) pour embrasser une intrigue sans surprise où la menace extraterrestre ne s’incarne jamais véritablement. Ce qui était jadis source de hors-champ et d’ellipses (les apparitions et disparitions d’Alien) ou de trouvailles visuelles (les hologrammes-fantômes de Prometheus) ne produit ici plus aucun trouble : la contamination prend la forme d’un effet numérique sans mystère (une poussière noire qui s’incruste dans les orifices des corps contaminés) et les xénomorphes deviennent des bestioles qui ne s’embarrassent plus de ramper dans l’ombre. C’est le problème de vouloir tout révéler : la franchise Alien semble désormais n’avoir plus aucun secret.