Ridley Scott commet une adaptation de la légende de Robin des Bois à l’encontre de toutes les caractéristiques d’une légende ou d’un mythe : aucun souffle épique, aucun personnage saillant, aucune lisibilité dans l’action. Malgré le prétexte louable d’une historicisation de cette légende du XIIe siècle, Scott accumule les redites et les écueils qui affleuraient à la surface de ses derniers films.
Robin… déboires
La légende commence là où le film se termine. Qu’on ne s’attende pas à découvrir une énième variation sur les exploits des joyeux compagnons de Robin, sur la bande de hors-la-loi qui attaquent l’iniquité du shérif de Sherwood pour redistribuer le fruit de leurs rapines aux nécessiteux. L’approche des origines, thème très porteur à Hollywood depuis quelques années, permet de recréer, de redéfinir certains mythes populaires, qu’ils fussent issus de la bande-dessinée, de la littérature, ou des légendes du terroir. On se souvient du Roi Arthur d’Antoine Fuqua, ou de La Dernière Légion de Doug Lefler qui tentaient de sortir la légende arthurienne… de la légende, précisément. Scott tente le même pari avec Robin Hood, Robin la Capuche, devenu en français (et pas de façon illégitime, nous disent les linguistes) Robin des Bois. Fini l’archer à la plume et au collant vert de Disney, fini le voltigeur incarné par Kevin Costner : c’est Russell Crowe, en bonne forme, mais empesé et pataud, toujours victime de son rôle « épaissi » dans Mensonges d’État du même réalisateur. Il est fort dommage que l’épaisseur de l’acteur ne concerne que son physique : rarement on aura vu un Russell Crowe aussi peu charismatique, atone, et même caricatural jusqu’à l’outrance dans une scène finale tellement mal dirigée, qu’elle devient un cas d’école pour montrer tout ce qu’il ne faut pas faire (ralentis, mollesse, flou total…). Le reste de l’équipe d’acteurs, qui a l’air de s’ennuyer sévèrement au cours de ces deux heures et demie, nous gratifie de micro-portraits sans saveur ; Cate Blanchett en Lady Marianne un rien rigide et les mains plongées dans le travail de la ferme avec autant de conviction et de réalisme que Marie-Antoinette devait en avoir dans la sienne, donne la réplique à un Max von Sydow qui cabotine et à des acteurs égarés dans le rôle des compagnons de Robin, personnages délaissés sitôt qu’ils sont introduits. Ridley Scott pousse la caricature très loin : la cour d’Angleterre se réduit à une poignée de conspirateurs, dont le roi Jean, présenté comme un vilain garnement légèrement sociopathe (il est victime de sa mauvaise réputation, véhiculée traditionnellement dans la littérature et chez certains historiens), tandis le roi français se gave d’huîtres et rêve au débarquement sur les plages anglaises. Tout le reste est dans le même style : les villageois de Pepper Harrow, près de Nottingham, sont heureux dans la misère, ils chantent, dansent et jouent, et sont en bonne santé, le shérif est insipide et quasiment inexistant, et bien entendu à la fin, tout ce beau monde se retrouve, peu ou prou, devant les falaises de Douvres pour repousser le « Marine Corps » français, vu qu’apparemment, dans l’imaginaire de Ridley Scott, le roi de France avait déjà inventé le scénario de Saving Private Ryan. On mentionnera l’arrivée impromptue de Lady Marianne qui entre deux moissons a appris le métier des armes. Son apparition en guerrière armée (était-elle jalouse d’Eowyn dans Le Retour du Roi et voulait-elle aussi brandir une épée ?) vaut son pesant de pop-corn. Quant à la mise en scène, où est passé le Scott des décennies qui précèdent ? On assiste, lassé, à une succession sans rythme de scènes bavardes, à l’humour laborieux, ou inexistant quand il le faudrait, un collage très maladroit de situations prises dans trois ou quatre lieux différents qui ne bénéficient d’aucune transition. On se croirait dans une mauvaise mini-série télévisée.
Robin fait de la politique
Quel est le problème dans tout cela ? La trahison du modèle que voulait défendre Ridley Scott : il part du principe que son film s’inscrit dans l’histoire. Or, Robin des Bois accumule de façon impressionnante les anachronismes et, beaucoup plus grave, les incohérences absurdes. On était déjà familier de ces torsions de l’histoire, depuis Gladiator (ah, les bustes des empereurs pas encore nés dans la tente de Marc-Aurèle !), et Kingdom of Heaven (les tenues militaires, les dates qui ne correspondent pas, et tant d’autres…). Certes, le propos de ces films n’est pas pédagogique ou didactique : le cinéma de fiction n’a pas pour prétention de donner un cours d’histoire. Mais on peut mentir ou tricher sans trahir. Ce n’est pas le cas de Robin des Bois qui retombe dans tous les excès de la représentation du Moyen Âge au cinéma : les gens sont tous propres et beaux, ils ont des dents parfaites, ils sont resplendissants (mention spéciale aux paysannes bronzées comme des bimbos californiennes…), ils ne sont pas malades, les chevaliers sont tous en armure (avec un siècle ou deux d’avance…), ils sont tous souples et agiles sous leurs quarante kilos de mailles, ils arrivent même à nager. Plus irréel encore : Robin des Bois est le fils du concepteur de la Magna Carta, la célèbre charte qui changea la relation des nobles anglais à leur souverain, abolissant en quelque sorte l’idée de monarchie absolue. Cela pourrait passer… si on ne voyait pas le roi Jean la brûler à la fin, lui qui dans notre histoire l’accepta et la proclama ! Si Scott voulait faire entrer Robin des Bois dans l’histoire, il ne fallait pas non plus sombrer dans le ridicule… et le nauséabond. En effet, que voit-on dans ce film ? La lutte des indépendants contre un pouvoir central. Des habitants de souche qui défendent avec ferveur leur nationalisme contre des envahisseurs forcément barbares et quasi dégénérés. Bien entendu, ces propriétaires (l’importance accordée à la taxe et à l’argent comme moteur essentiel des revendications politiques est vraiment disproportionnée dans le film) défendent leur intérêt l’arme au poing, face à la sangsue incarnée par le pouvoir royal. Il s’agit tout simplement de la mise en images du credo ultra-conservateur d’une certaine droite américaine. La défiance à l’égard du pouvoir fédéral, la haine de l’impôt, le droit de tout propriétaire à lever les armes pour se défendre, la revendication d’un contre-pouvoir au nom du droit du sol et du sang, affranchi de la loi centrale.
Le film de Ridley Scott est aux antipodes de son sujet, et il s’aventure sur le terrain miné de la propagande déguisée, comme 300 le fit avec le récit des Thermopyles. Ah, que l’on regrette la fraîcheur et le rythme endiablé du Robin des Bois : Prince des voleurs de Kevin Reynolds ! Malgré son aspect très ancré dans les années 1990, ce film respectait le cahier des charges de tout récit épique ou ancré dans la légende. Ridley Scott a tout simplement oublié qu’il filmait Robin des Bois pour nous présenter la version finalement aseptisée et révisionniste de Robin Longstride.