American Nightmare (The Purge) porte bien et mal son titre français. Le cauchemar est en effet celui des spectateurs bien plus que celui des personnages, tant le film emprunte des sentiers balisés, néglige les pistes les plus intéressantes et peine à créer l’angoisse tant promise au cours sa promotion. Au rayon des films de home invasion, American Nightmare ne laissera pas un souvenir impérissable.
Scénariste depuis le milieu des années 1990, James DeMonaco est passé à la réalisation en 2009 avec Little New York. Pourtant, c’est dès le stade du scénario qu’American Nightmare pose problème, avec sa démagogie pesante et sa maladresse narrative. Interroger le puritanisme de la société américaine comme catalyseur d’une violence bestiale n’est pas sans intérêt. Mais American Nightmare le fait avec une volonté démonstrative appuyée et enfonce des portes ouvertes. Que l’homme soit un loup pour l’homme et que les riches cherchent toujours à écraser les plus pauvres, ce ne sont pas des nouveautés. Et si cette situation mérite d’être discutée, elle ne peut souffrir une approche aussi caricaturale.
En 2022, les États-Unis sont devenus une nation irréprochable avec un taux de criminalité nul, grâce à un système imparable : la purge. Une fois par an, pendant douze heures, le crime est légal. Dans cette nouvelle Amérique, une famille de la grande bourgeoisie se prépare pour cette nuit particulière : James Sandin, chef d’entreprise prospère, vendeur de systèmes de sécurité dernier cri, son épouse lisse et docile, Mary, sa fille en pleine crise d’adolescence, Zoey, et son fils renfermé mais brillant, Charlie. Alors que le petit ami de Zoey décide de régler ses comptes avec le père de sa douce, Charlie désarme le système de sécurité pour faire entrer un homme pourchassé par une horde masquée. La famille Sandin se trouve alors confrontée à un choix : sauver ce SDF noir, sévèrement blessé, et se mettre en péril ou le rendre à ce gang constitué de jeunes privilégiés dans leur bon droit. Respecter une vie humaine, quelle qu’en soit la valeur supposée dans la hiérarchie sociétale, ou respecter le droit légal à la purge, quel que soit l’écart de cet acte avec leurs valeurs chrétiennes, voilà le dilemme de cette famille WASP.
Comme dans tout film de home invasion, les Sandin se trouvent ainsi confrontés à leur propre monstruosité tout autant qu’à la violence de leurs assaillants. Selon les règles du genre, le mâle alpha doit mourir en premier. Alors les agresseurs s’acharnent sur James Sandin (Ethan Hawke), dont la survie nous importe peu, tant le personnage est construit comme un être autoritaire et égocentrique. Mais, normalement, la suppression du père doit faire place à un nouveau héros pour protéger et reconstruire les ruines du rêve américain, cristallisé dans la demeure de banlieue. Ici, c’est la débâcle… La mère diaphane a la personnalité d’une huître et les enfants au brushing impeccable sont paralysés par le comportement cruel des adultes. Quant à l’intrus afro-américain, il peine à accéder au statut de personnage avant les cinq dernières minutes du film, où il est utilisé comme deus ex machina pour sauver les restes d’une famille brisée, avant de retourner à sa misère sans reconnaissance.
Au-delà de la maladresse de son propos, le film souffre d’une mise en scène fragile et en particulier d’un vrai problème de spatialisation. La maison est immense, comme les voisins le font remarquer avec insistance au début du film, suspectant d’avoir payé eux-mêmes les agrandissements successifs par l’achat de systèmes de sécurité Sandin. Sa dimension labyrinthique devrait faire de cette demeure un terrain angoissant par essence, avant même l’intrusion des tueurs. Pourtant la caméra ne dévoile que de petits couloirs obscurs, sans donner la mesure de l’immensité prétendue des lieux. Certes le modeste budget (pour un film américain) constitue un handicap intrinsèque au film de genre. Mais la mise en scène ne déploie jamais un emploi bien subtil du cadre et du montage pour pallier cette difficulté. La sensation de confinement se fait de plus en plus forte, alors que les outils à disposition du réalisateur dans le décor demeurent sous-exploités. Ainsi le robot-caméra téléguidé, bricolé par le jeune Charlie, apparaît dès le départ comme l’outil parfait pour créer des effets d’ironie dramatique, mais demeure relégué à un usage accessoire.
James DeMonaco ne construit jamais d’idée de mise en scène assez forte pour susciter l’empathie envers des protagonistes creux et univoques. D’ailleurs, jamais leurs intentions ne sont remises en question, jamais leur position par rapport aux autres personnages n’est bouleversée. Le film dénonce la force des conditionnements sociaux tout en les reproduisant et surligne ses bonnes intentions avec une insistance fatigante. La présence du riche blondinet au sourire effrayant et à la politesse autoritaire ne suffit pas à construire l’angoisse d’un Funny Games, quand le rôle donné au pauvre intrus afro-américain face à la riche famille WASP demeure bien consensuel. Dans l’horreur d’une nuit de carnage, chacun reste bien à sa place et le désordre n’est qu’artifice.