Rappelons le principe des American Nightmare : dans un futur proche, le gouvernement des États-Unis aurait réduit à néant le taux de criminalité du pays au moyen d’un dispositif appelé la purge, consistant à autoriser tous les crimes sur le territoire le temps d’une nuit par an. À les considérer isolément, aucun des trois premiers films n’a jamais vraiment réussi à être à la hauteur du fort potentiel d’une telle idée, comme c’est souvent le cas dans les productions Blumhouse, dont les pitchs accrocheurs servent bien souvent de carburant à des productions au rabais. Et pourtant, il faut tout de même reconnaître à ce quatrième épisode de ne pas manquer d’intérêt, voire même d’enrichir la saga par la poursuite de son évolution.
Guns in my area
La saga opéra au fur et à mesure de ses épisodes un retournement du point de vue sur son univers. Le premier film (The Purge, 2011) suivait la descente aux enfers, quelque peu caricaturale, d’une famille ayant tiré profit de l’événement grâce à la vente de dispositifs de protection pour maisons de banlieues résidentielles huppées. L’illusion de l’étanchéité du foyer face au déferlement de violence extérieure volait alors en éclat suite au dilemme que provoquait l’apparition d’un homme noir pourchassé dans la rue. Fallait-il faire preuve de compassion et ouvrir la porte, ou se méfier d’une possible ruse, quitte à le regarder se faire abattre dans son propre jardin ? Le regard sur les événements était celui des classes moyennes, persuadées dans un premier temps que l’œuvre du gouvernement était pour le bien commun, alors qu’il servait en fait une volonté assumée de « nettoyage » des populations les plus pauvres, celles-ci n’ayant pas les moyens de se prémunir contre les massacres. Ce prologue allait alors ouvrir la voie à une nouvelle exploration de cet univers dans les films suivants : à l’extérieur, les protagonistes seront désormais issus des minorités ethniques, et présentés comme les seuls garants d’un rêve américain multiculturel menacé par un projet de purification sociale décidée par les dirigeants du pays.
Si le scénario de James DeMonaco (réalisateur de la trilogie initiale laissant la place à Gerard McMurray) fait mouche pour ce prequel, en tous cas dans une certaine mesure, c’est parce qu’il mène à son terme le virage de toute la saga. La première purge, alors expérimentale, aurait ainsi eut lieu uniquement sur Staten Island, un arrondissement populaire de New York, afin d’observer, officiellement tout du moins, si une catharsis meurtrière permettrait de réduire le taux de criminalité d’un quartier en proie au trafic de drogue. Déçu par la première partie de la nuit, qui ne provoque que le déchaînement de quelques psychopathes, le gouvernement décide d’accélérer les choses en envoyant des mercenaires armés jusqu’aux dents massacrer aveuglément la population. En inversant le principe d’Assaut de Carpenter (dont DeMonaco avait d’ailleurs signé le scénario d’un triste remake en 2005), et en l’étendant à l’échelle d’un quartier, la majorité du film peut ainsi se résumer à cette situation : des Afro-Américains tentent de survivre au sein d’un quartier assailli par des criminels blancs, protégés par la loi, qui déferlent du reste de la ville. Exit donc les dilemmes moraux : désormais, il s’agit d’un affrontement frontal entre les Noirs et les Blancs, au sein d’une sorte de Fort Alamo urbain.
Just a black man in this world
Disons-le clairement : McMurray n’a pas beaucoup plus de marge de manœuvre que son prédécesseur, et la mise en scène de cet affrontement repose encore une fois sur des effets de manche des plus conformistes. La place de la violence est d’ailleurs la première contradiction de toute la saga, et elle ne se dément pas ici : un des piliers sur lequel repose la plupart des péripéties est de savoir quel genre d’horreur vont être commises dans la rue, y compris à l’encontre de pauvres personnages innocents. Sauf que cette fois, cette monstration des actes de violence sert de fondement à celle qui va s’abattre en retour à l’encontre des figures des plus grands crimes américains. Ceux qui défilent dans les rues armes à la main arborent des tenues du Ku Klux Klan, des insignes néo-nazis, des tenues de policiers des années 60, pour reproduire avec délectation le spectacle de sévices qui eurent lieu à plusieurs époques avec la même impunité. La violence est avant tout celle de son propre spectacle. Se met ainsi en place une opposition entre deux sortes de crimes : celle de la rue, qui apparaît, et c’est tout de même assez étrange comme postulat, comme potentiellement justifiée par la nécessité (règlement de comptes au sein d’un gang, par exemple), et la violence d’État, qui est un écho des abominations du passé. Même le personnage du psychopathe, auteur du tout premier crime de la purge et jouisseur d’une violence barbare et gratuite, finit par s’allier à la lutte contre cette catégorie de criminels. Et dès lors que l’on s’attaque à ce genre d’ennemi, éclate enfin une brutalité visuelle d’un autre genre, cette fois frontale et cathartique, de la même manière que dans le final de Get Out : les hommes de main de ce gouvernement raciste sont égorgés, étouffés, poignardés. Le sang gicle sur les murs, comme dans un jeu vidéo, avant que les flammes ne viennent effacer l’horreur de leurs exactions.
On le voit, le film va, d’une certaine manière, très loin dans son imagerie, mais tout en restant bien ancré sur les rails de la violence banalisée. C’est en partie ce qui fait de cet American Nightmare 4 une œuvre toujours aussi consensuelle. Là où le Starship Troopers de Verhoeven mettait à jour les pulsions guerrières (voire génocidaires) d’une Amérique blanche puérile et cruelle, The First Purge se contente finalement d’une inversion des rôles. Il s’agit bien, et ce avec un premier degré jamais démenti, de la rédemption d’un héros américain pour ses fautes passées (le principal protagoniste est un dealer qui paye pour avoir livré le quartier à la violence et au crime, et ainsi d’avoir contribué à justifier la décision de ce gouvernement scélérat). Nous sommes en fait face à la construction d’un western basé sur la défense d’un territoire qui, même s’il est administré par le crime, doit rester aux mains de la communauté qui le gère, seule légitime. Les habitants de ce quartier doivent repousser l’intervention d’un Etat qui prend ici la forme la plus démoniaque qui soit, comptable de toutes les horreurs qui furent proférées pendant le siècle passé. La mythologie du cinéma américain reste donc inviolée : le but ultime du héros, entité solitaire, est la reconstitution de l’unité familiale, cellule première de la société. Ce spectacle, si l’on se contente de ne le juger qu’à cette lumière, reste donc somme toute extrêmement prévisible, sérieux à toute épreuve, voire même paradoxalement très lisse à la vue de son sujet, renvoyant aux fondements les plus enracinés de la démagogie américaine : la dichotomie entre une société valeureuse et individualiste contre un pouvoir corrompu et sanguinaire. Mais s’il doit rester quelque chose de ce quatrième opus, que n’avaient pas ses prédécesseurs, c’est tout de même que ses protagonistes sont en fin de compte les successeurs des Indiens, plutôt que des cow-boys. Et l’air de rien, ceci constitue une des rares propositions stimulantes de ces dernières années pour ce qui est de ressusciter le mythe du héros américain.