Combinant film d’espionnage, film de propagande antinazi et drame amoureux, Cape et Poignard, film quelque peu oublié de la filmographie de Fritz Lang, est décevant dans son ensemble mais contient quelques beaux passages. Interrompant sa collaboration psychanalytique avec Joan Bennett qui avait donné naissance aux géniaux La Femme au portrait (1944) et La Rue rouge (1945), Fritz Lang retourne au film noir au message pacifiste, fin de la guerre et tensions émergentes entre les blocs Ouest et Est obligent. À l’instar de Chasse à l’homme (1941) qui ressort également en salles, Les bourreaux meurent aussi (1943) ou encore Espions sur la Tamise (1944).
Antinuke
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Alvah Jesper, professeur de physique, est chargé par les services secrets américains d’enquêter sur l’état des recherches allemandes sur l’arme atomique. Envoyé en Suisse, il a pour mission de retrouver Katerin Lodor, une collègue allemande qui a refusé de travailler avec les nazis. Sa mission l’amène jusqu’en Italie où il rencontre la belle Gina, résistante italienne meurtrie par la guerre.
La construction du film est assez bancale, valsant entre intrigue d’espionnage assez convenue et histoire d’amour émouvante mais n’en valorisant aucune. Regards en coin, suspense, pièges divers et variés, soutenus par la musique en « mickeymousing » de Max Steiner, constituent certains des ingrédients de la recette du film d’espionnage auxquels Lang ne déroge malheureusement pas ici. Néanmoins, fait rare à l’époque et qui rehausse l’intérêt du film, Cape et Poignard est un des premiers à afficher aussi ouvertement son scepticisme vis-à-vis de la bombe atomique.
Quelques trop rares détails scénaristiques (une astuce narrative amenée par l’apparition d’un chat, une séquence nostalgique dans un manège) font dévier intelligemment la narration de sa trajectoire rectiligne, atténuée également par la caractérisation des deux personnages principaux. Bien que le personnage de Gary Cooper endosse rapidement le rôle de l’homme protecteur et viril, il est d’abord novice et maladroit et apporte une touche plus humaine au film ; tout comme le personnage de Gina, interprété avec une grande sensibilité par la belle Lilli Palmer et qui évoque le quotidien terrible des populations occupées.
Cape et d’épée
En contrepoint de certaines séquences trop bavardes, Lang déploie comme à son habitude sa caméra discrète et élégante, jouant de la géométrisation des décors, de l’omniprésence de miroirs – qui décline le thème du dédoublement – et d’un noir et blanc contrasté. Mais la séquence la plus marquante du film est la scène d’un meurtre sur fond d’orgue de Barbarie, servie par un montage efficace et cru, agrémenté de gros plans sur les visages en lutte, et préfigurant, vingt ans plus tôt, la séquence agonisante du meurtre de dix minutes du Rideau déchiré de Hitchcock. Elle se clôt par l’apparition d’un ballon rebondissant sur des escaliers, symbole de la mort et clin d’œil espiègle à son M le maudit.
À noter que le film a été censuré et modifié : expédiée, la fin à la Casablanca du film, toutes hélices dehors, ressemble à une énième fin de film de propagande, bon qu’à soutenir le moral des troupes. Selon Lotte Eisner dans son ouvrage consacré à Lang, ce dernier avait prévu une fin grandiose avec la découverte dans les montagnes du laboratoire scientifique des nazis ainsi que d’un camp jonché de cadavres de travailleurs assassinés par les nazis. Cette fin, plus forte, aurait été la raison pour laquelle Lang fit le film. Mais le studio de Jack Warner n’allait certainement pas laisser passer une fin aussi menaçante et sombre (les scénaristes du film, Ring Lardner Jr et Albert Maltz furent d’ailleurs « blacklistés » par la HUAC de McCarthy un an après la sortie du film). On ne peut que regretter de n’avoir pas vu cette œuvre sous son vrai jour.