Dans Paris, il y a Guillaume, un garçon trop sensible qui ne se remet pas de la fin d’une histoire d’amour un peu borderline ; Jonathan, son frère, qui papillonne de fille en fille dans les rues de la capitale ; leur père, très inquiet quant à l’avenir de ses deux fils ; et leur mère, constamment réfugiée derrière ses sourires et sa douceur. Dans Paris, Noël approche et les souvenirs remontent à la surface au sein d’une famille réunie sous le même mot d’ordre : « Prends la peine d’ignorer la tristesse des tiens. »
À travers une histoire toute simple, tricotée presque à la va-vite à la demande d’un producteur qui aime les défis (Paulo Branco), Christophe Honoré projette toutes ses influences cinématographiques pour porter à l’écran un scénario bouleversant d’honnêteté et de pudeur, constamment malmené par une multitude d’idées de mises en scène. Honoré n’invente rien et pourtant, Dans Paris fait l’effet d’une gigantesque lame de fond qui viendrait balayer un genre dont on n’arrivait plus à voir autre chose que les caricatures : le film français de chambre de bonne. L’image a de quoi faire frémir, pourtant Christophe Honoré l’assume, l’embrasse à pleine bouche même : Guillaume passe son temps en caleçon enfermé dans sa chambre à pleurer sur son amour perdu pendant que Jonathan écume les trottoirs de la ville pour mieux se reposer dans les bras (et sous la couette) des jeunes filles peu farouches qui croisent sa route.
Dans Paris fait appel aux fantômes de la Nouvelle Vague, que beaucoup de cinéastes viennent réveiller sans se douter qu’on ne se frotte pas impunément aux légendes. Honoré n’a peur de rien : ses deux précédents long métrages en attestent, surtout Ma mère (2004), le second, tentative courageuse (et, selon les avis, superbement relevée ou atrocement ratée) d’adapter l’inadaptable roman de Georges Bataille. Ici, Louis Garrel, en bon héritier du mouvement de son père, se laisse volontiers entraîner dans un grand jeu de piste où son personnage tutoie les mythes du passé en général et Jean-Pierre Léaud/Antoine Doinel en tout particulier : adresse caméra, marivaudage sentimental et bouquin sous le bras, toute la panoplie est convoquée, des parents incarnés par les acteurs de Baisers volés et Une belle fille comme moi aux promenades sur les bords de Seine qui rappellent Seberg et Belmondo descendant les Champs-Élysées. Truffaut et Godard imités par le fils de Garrel, c’est suffisant pour faire la grimace et pourtant, Christophe Honoré slalome entre ses écrasantes références avec la grâce d’un funambule.
C’est qu’avant d’être cinéaste, l’homme est un excellent écrivain. Et que la finesse et la justesse de son écriture viennent constamment rappeler que le cinéma, c’est aussi faire faire de jolies choses à de jolis garçons, n’en déplaise à Truffaut qui ne jurait que par les actrices. Si le premier quart d’heure fait craindre le pire (la rupture entre Guillaume/Romain Duris et l’insupportable Joana Preiss, tellement pleine des clichés redoutés qu’on se croirait dans une parodie des Nuls), le film décolle dès lors que les deux frangins, enfermés dans l’appartement parisien paternel, confrontent leurs états d’âme avec la pudeur qui caractérise les relations fraternelles (Honoré n’est pas étranger au sujet, lire son très beau roman Tout contre Léo). Duris (extraordinaire parce qu’inattendu dans ce registre), barbe longue et robe de chambre douteuse, traîne son désespoir en chantonnant (faux) sur du Kim Wilde ; Garrel (en apesanteur, aux antipodes de ses rôles habituels) se fait jeter du lit par son papa bougon (Guy Marchand, génial) et sa traversée libertine de Paris ressemble à une réponse en fil rouge du petit frère au grand : la vie vaut vraiment la peine d’être vécue, surtout avec plein de jolies filles dedans. Reliés l’un à l’autre par messages interposés sur téléphones portables, les deux frères entament une thérapie familiale toute personnelle, sous le regard bienveillant de parents peu conventionnels mais irrésistiblement attachants. Père et mère sont séparés malgré une affection toujours présente : la disparition prématurée d’une sœur suicidaire, on le devinera par la suite, en est sans doute la cause. Ce n’est pas pour rien que le film se situe à l’approche des fêtes de Noël : temps idéal pour panser ses plaies en famille, régler ses comptes et faire le point. Christophe Honoré réussit ainsi à allier dans le même mouvement le pur exercice de style (réussi haut la main) et le pointillisme d’un scénario libre comme l’air, où chaque situation, chaque bribe de dialogue émeuvent par leur capacité rare à susciter l’empathie pour des personnages terriblement humains.
Dans Paris se clôt sur une belle histoire racontée par l’aîné au benjamin, celle-là même qu’ils se lisaient le soir avant de s’endormir. Allongés sur le lit, les deux frères retrouvent entre les lignes leur attachement ancestral, inexplicable et bouleversant qui, jusqu’à présent, imprégnait tout le film sans que le cinéaste ne juge utile de le surligner. La scène touche par sa capacité à synthétiser le propos du film en quelques plans : « Prends la peine d’ignorer la tristesse des tiens. » L’ignorer pour mieux la chasser, faire comme si de rien n’était pour que la vie continue. On peut trouver le procédé discutable, il n’empêche : Christophe Honoré en a fait un film vibrant, où la mort rôde sans jamais entamer l’appétit de vie qui nous tient debout.