Le retour de George A. Romero est, pour tous les adeptes de films d’horreur et autres joyeusetés gore, une bonne nouvelle. Depuis quelques années, les studios hollywoodiens produisent à la pelle des films peu coûteux et extrêmement rentables : pas de stars au générique, mais des formules toutes faites ou des remakes de valeurs sûres (Massacre à la tronçonneuse, Amityville, L’Armée des morts, La Maison de cire, et bientôt Fog ou encore – horreur !!! – Les Oiseaux de Hitchcock) qui assurent un retour sur investissement maximal. On est bien loin de ces films des années soixante-dix qui, sous couvert d’attirer le spectateur lambda en lui proposant des scènes choc, représentaient une des franges les plus créatives et les plus subversives du cinéma indépendant américain. De La Nuit des morts vivants de Romero en 1968, chef-d’œuvre apocalyptique hanté par le spectre de la guerre du Viêt-Nam, au prophétique The Thing de John Carpenter, métaphore des années SIDA à venir, en passant par la sauvagerie exutoire de Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper ou La Dernière Maison sur la gauche de Wes Craven, l’Amérique des seventies a trouvé en ces jeunes réalisateurs underground les commentateurs perspicaces de tous ses maux. L’apogée fut atteinte avec L’Exorciste de William Friedkin en 1973, miroir tendu à l’hypocrisie puritaine d’un pays post-Kennedy dévoré par ses démons (le Viêt-Nam, encore, mais aussi la révolution sexuelle et le Watergate).
Aujourd’hui, l’Amérique ne se porte guère mieux et le cinéma indépendant a trouvé sa voix dans le documentaire, mais la liberté de ton de l’époque n’est plus. John Carpenter, Wes Craven et William Friedkin signent des navets pour les studios, et Tobe Hooper a disparu des radars. C’est dire si ce quatrième opus de la série des films de zombies de Romero était attendu, justifiant à lui seul une présentation en sélection officielle à Cannes cette année, hors compétition et en séance spéciale.
En 1978, Romero atteignait l’apogée de sa carrière avec Zombie, violente charge anticapitaliste à peine cachée sous des sommets de délire gore : pour sauver leur peau, les survivants se réfugiaient dans un centre commercial. Probablement vexé par l’échec critique et public de sa suite, Le Jour des morts-vivants, en 1985, Romero s’était fait discret depuis. Ce Land of the Dead marque donc les retrouvailles du réalisateur avec un public beaucoup plus rôdé aux codes du film d’horreur qu’il y a vingt ans, et Romero doit faire face à un dilemme : comment effrayer le spectateur en 2005 tout en gardant le style et la conscience critique des films précédents ?
Land of the Dead ne réussit que partiellement à remplir son contrat. L’histoire est très simple et étonnamment proche d’un roman de l’écrivain français Jean-Christophe Rufin, Globalia, paru il y a deux ans : dans un futur proche, le monde est divisé entre les morts et les vivants. Les zombies errent dans des banlieues dévastées dans lesquelles les humains vivaient autrefois. Les vivants, eux, ont réussi à se créer des zones de sécurité à l’intérieur desquelles la ségrégation règne : les plus pauvres survivent tant bien que mal dans des quartiers vétustes alors que les plus riches sont parqués dans une ville/centre commercial gérée par un politicien véreux (Dennis Hopper, parfait). Une bande de rebelles, menée par Riley (Simon Baker) organise des excursions dangereuses dans les zones dévastées pour y récupérer des matières premières laissées par les vivants avant l’arrivée des morts-vivants. Mais ces derniers ont acquis une intelligence qui va les mener à l’assaut de la ville protégée…
Romero déclare dans le dossier de presse avoir voulu mettre en scène « une situation qui nous ramène à l’idée même du terrorisme à l’heure actuelle. Cette métaphore constitue le cœur même du film, son thème principal. Ses protagonistes doivent sortir de leur refuge, de leur cocon pour, dans le but d’approvisionner l’enclave en vivres et accessoires, prendre pleinement conscience de l’état du monde, voir à quel point il s’est dégradé ». La métaphore est claire : les vrais humains sont lobotomisés par le protectionnisme dans lequel ils se sont enfermés et par les écrans vidéo omniprésents qui débitent à longueur de journée propagande et publicités. De l’autre côté, les morts-vivants sont obligés de développer leur intelligence pour survivre. Comme à son habitude, Romero inscrit son œuvre dans le contexte politique et social actuel et renvoie une image peu reluisante de la société dans laquelle nous vivons. Dommage, alors, qu’il ait choisi pour héros une bande de rebelles caricaturaux qui méprisent aussi bien les autorités du monde dans lequel ils vivent que les zombies qui cherchent à les détruire : pour un peu, on trouverait presque que les monstres sont plus sympathiques… et plus expressifs. Il est facile de comprendre où Romero veut en venir : dans un conflit entre deux mondes que tout oppose, seuls s’en sortiront ceux qui regarderont l’Autre, l’ennemi potentiel, en face. Difficile tout de même de ne pas faire la grimace en se disant qu’ici, l’Autre en question est représenté par des monstres décérébrés et assoiffés de sang. À n’en pas douter, il n’est nullement question d’idéologie douteuse mais plutôt d’une maladresse qui montre les limites de l’univers du cinéaste : à un moment, il faut choisir entre divertissement et film à thèse, et Romero ne sait pas vers quel côté il doit pencher.
En outre, côté divertissement, on reste sur notre faim : les effets spéciaux « à l’ancienne » chers à Romero ont pris un coup de vieux. Boyaux en plastique, sang couleur ketchup, zombies maquillés comme le Michael Jackson des grands jours… Quand ils ne font pas mourir de rire, les morts-vivants font bailler d’ennui. L’interprétation de série Z n’arrange rien : entre le monolithique Simon Baker et la jolie (mais accessoire) Asia Argento, la palme du grotesque revient à John Leguizamo, qui cabotine à outrance dans le rôle d’un rebelle un peu trop ripou. En dehors de quelques scènes inquiétantes, dont une, étrangement poétique, où les zombies émergent de l’eau pour prendre possession de la ville, Land of the Dead ne fera pas frissonner les nouvelles générations qui, c’est un comble, avaient plébiscité le remake (plutôt réussi) de Zombie l’année dernière. Peut-être serait-il temps pour Romero de passer à autre chose, enfin ?