L’expression ordinale « Volume 2 » (référence aux cassettes compilant des tubes des années 1980 qu’écoute en boucle Peter Quill alias Star-Lord, le mercenaire de l’espace) est non seulement plutôt originale pour un film, mais bien appropriée ici. Ce nouvel épisode des aventures des « Gardiens de la Galaxie » reconduit en effet les principes qui animaient le précédent avec un effet accru de compilation, d’accumulation où l’idée d’une suite scénaristique se trouve quelque peu sacrifiée. Sans surprise mais sans lassitude, on renoue avec les tribulations potaches d’une bande de misfits bagarreurs et peu compatibles avec la vie en société, beaucoup d’humour basé sur les ambiguïtés de communication et la difficulté de paraître (entre les vacheries sur les surnoms et les commentaires abrupts sur les perceptions mutuelles), et une collection d’hommages à des icônes vintage plus ou moins muséalisées – ou ringardisées, c’est selon – d’il y a trente ans (guetter les improbables caméos de Pac-Man et de David Hasselhoff…). La direction formelle est à l’avenant, surenchérissant là aussi sur le « volume 1 », livrant une sorte de pendant filmique d’une borne de jeu d’arcade affectionnant les mêmes vieilles icônes : l’espace – intersidéral comme cinématographique – est traité comme un plateau de flipper géant en trois dimensions où retournements de situations et scènes d’actions font ricocher personnages, objets et autres effets numériques dans tous les sens, jusqu’à une frénésie de cartoon (gags visuels, pour le coup).
Grandes lignes ou grand huit
Bien sûr, il y a de grandes lignes de scénario qui traversent ce terrain de jeu pour enfants pas sages. Pour résumer grossièrement : les Gardiens sont poursuivis par des clients mécontents qui veulent rien moins que les exterminer ; et Peter Quill recroise la route de son père jusqu’alors inconnu, un extraterrestre aux pouvoirs divins dont les plans mégalomaniaques impliquent des destructions de planètes, et qu’en bon Œdipe il lui faudra vaincre (le rôle du père offre d’ailleurs à Kurt Russell une étrange partition, l’ancien acteur fétiche de Carpenter composant une sorte de Starman passé du côté obscur). Mais à vrai dire, ces aventures pourtant propres à alimenter une saga, on ne s’y intéresse que distraitement, tant elles semblent ne devoir servir que de prétexte au défoulement ludique et geek qui motive tout le film. On est tenté de considérer cela comme une faiblesse, un manque de tenue, les approximations de l’écriture ne semblant pas compenser celles de la forme. On y verrait aussi un quasi-accident au regard de la logique de production habituellement mise en œuvre par Disney/Marvel Studios (propriétaire de la franchise), plutôt portée sur le feuilleton, le développement d’un film à l’autre, la mythologie se montant brique par brique et étape par étape. Hormis de vagues mentions en arrière-plan d’un grand méchant nommé Thanos et de « Pierres d’Infinité » (connexion encore ténue avec l’autre franchise-phare de Marvel, Avengers, un cross-over imminent étant prévu), les aventures des Gardiens de la Galaxie ne semblent – pour l’instant ? – devoir prendre aucune place notable dans quelque récit au long cours, en tout cas pas dans le « Marvel Cinematic Universe », et à peine plus de l’un à l’autre de ces deux épisodes qui semblent jalonner moins un feuilleton qu’une série bouclée.
Portraits de personnages en série
Mais est-ce une si grande faiblesse, après tout ? Le plaisir procuré par ce nouvel épisode ne vient certes pas d’aventures érigeant ses personnages au rang de héros de saga, mais du sel apporté par ces personnages mêmes, qui incite jusqu’à la mise en scène à jouer avec eux (quitte à faire de certains des mascottes, comme Rocket le rongeur psychopathe ou Groot l’ancien colosse-arbre devenu minuscule et attendrissant). De cette galerie de créatures hautes en couleur, « Volume 2 » laisse apprécier les retrouvailles avec les caractéristiques connues, mais aussi avec des changements plus discrets et intrigants. Ce ne sont pas vraiment des évolutions à partir de l’épisode précédent, mais plutôt des variations, des combinaisons nouvelles : des traces de certaines émotions chez des personnages qui ne les laissaient pas forcément présager, des inflexions dans leurs interactions mutuelles. Et puis, dans une franchise déjà originellement plus marginale qu’Avengers, le film se lance dans une généreuse promotion des rôles secondaires poussés à se dresser à hauteur des protagonistes, qu’ils soient spécifiques à cet épisode (comme Mantis, la servante intimidée pour qui le massif Drax le Destructeur éprouve une attirance… hors normes) ou qu’ils soient apparus plus en retrait dans l’épisode précédent. On pense en particulier au rugueux Yondu à la peau bleue et à la fléchette agile : second couteau du « volume 1 », il prend ici une importance aussi décisive que réjouissante, se voyant même offrir des scènes toutes à sa gloire – et le sympathique acteur Michael Rooker d’honorer là, sans doute, son rôle le plus proéminent depuis… Henry, portrait d’un serial-killer en 1986 !
Bon pour l’usine
C’est que James Gunn (réalisateur et scénariste adoubé par Marvel pour ce qui s’annonce comme une trilogie) affiche de bout en bout une gourmandise de personnages plutôt que de narration. Il n’y a qu’à voir ses cinq scènes incluses dans le générique de fin, qui ne révèlent ni n’annoncent rien (inhabituel chez Marvel), qui n’existent que pour prolonger le plaisir de fréquenter ce petit monde. Sans être épris de profondeur psychologique, Gunn transpire d’affection pour ses figures de misfits – qu’elles brillent ou soient prises en défaut – et surtout ne les laisse pas réduire à l’état de simples figurines à vendre au public, mettant en valeur les facettes hors normes, gentiment déviantes et quelque peu inadaptées à leur milieu de la plupart d’entre elles, et de leurs désirs pour certains (Star-Lord le Terrien s’avérant cependant, sur ce point, le plus lisse du lot). Une telle générosité appartient sans doute au réalisateur, dont il ne faudrait pas mésestimer la position dans cette franchise. Mais elle s’inscrit aussi parfaitement dans la politique créatrice de Marvel Studios, cette usine à personnages qui propose certes des histoires, mais surtout (cela reste la différence décisive entre le film de super-héros et le tout-venant du blockbuster hollywoodien) des individualités pour les habiter et les susciter, auxquelles le spectateur peut s’intéresser pour y trouver des aspects plus ou moins stimulants. Quoi qu’on puisse reprocher à la routine industrielle qui transparaît parfois dans le fonctionnement de cette usine, cette mise de l’individualité au cœur de la fabrication de récits (de cinéma comme de comics) reste pour elle une richesse qu’on est heureux de retrouver. Ça tombe bien : les aventures des Gardiens de la Galaxie affectionnent précisément cette richesse-là – même si on attend de voir ce qu’elle peut susciter encore.