Intégralement tourné à l’iPhone, Paranoïa tire profit de son parti-pris technique le temps de deux scènes situées au début du film. La première plonge une forêt dans le bleu poétique d’une nuit américaine, à rebours de l’image ingrate, prise sur le vif, que l’on pouvait attendre, tandis que la deuxième vient, dans le creux d’une scène triviale, ménager une relative étrangeté. Sawyer, l’héroïne, profite de sa pause déjeuner pour téléphoner à sa mère. Comme le dira plus tard le stalker de Sawyer, spectateur invisible de la scène, « quelque chose manque » dans ce fragment d’un quotidien ingrat : parce que les mouvements de la jeune femme sont très légèrement saccadés et les couleurs discrètement affadies, la perte de l’image, infime mais bien perceptible (c’est d’ailleurs la seule scène du film où l’on sent vraiment qu’il est tourné avec un téléphone), donne à voir le personnage comme un être hanté – en l’occurrence par la peur de ne jamais être en sécurité. Problème : en prenant ensuite ses quartiers dans un hôpital psychiatrique, le film réduit sa potentielle singularité plastique au service d’une atmosphère anxiogène plutôt forcée (à l’image de cette séquence où deux plans du visage de Sawyer se superposent pour figurer la folie causée par un médicament).
C’est que l’iPhone n’est pas ici le terreau d’une étrangeté de la technique explorée par l’entremise d’un dispositif (à l’image de l’écran d’ordinateur d’Unfriended ou des Google Glass du méconnu et curieux JeruZalem). S’il octroie une souplesse logistique et donne l’occasion à Soderbergh d’essayer des angles et plongées iconoclastes, il ne participe pas vraiment, à l’exception des deux scènes précédemment évoquées, à la mise en place d’un véritable projet d’écriture. Avec son retranchement habituel, le cinéaste embrasse moins un horizon expérimental qu’il ne cherche un cadre technique raccord avec la modestie de ses derniers projets. Seulement, à force de tout gommer, le film menace d’être ravalé par le vide qui se tient sous ses pieds : seule une scène finale, assez navrante, et un discret trompe-œil temporel dans le montage permettent aux enjeux de distiller un peu d’ambivalence. Pour le reste, le cinéaste s’en tient au déroulé d’un récit faussement malin, qui jongle entre pics angoissants et promesse d’une ambiguïté (et si Sawyer était véritablement folle ?), tout en appuyant ici et là la trivialité de l’environnement décrit, les petites magouilles administratives de l’institut, les discussions entre les infirmiers qui désamorcent finalement l’impression que Sawyer est la victime d’un complot généralisé.