Où est passé Will Ferrell ? Eurovision Song Contest : The Story of Fire Saga esquisse un début de réponse dans son exposition : l’acteur y joue de nouveau un adulte qui n’a jamais vraiment grandi, un énergumène irresponsable dont l’immaturité n’a d’égale que la bêtise. Et, comme toujours, cette extraordinaire stupidité se conjugue avec un refus radical de la normalité : Lars, islandais quadragénaire vivant dans le sous-sol de son paternel, n’a pour seul rêve que de gagner l’Eurovision avec sa camarade de toujours, Sigrit (Rachel McAdams). C’est que chez Ferrell, le ridicule précède toujours la grâce – ou du moins une grâce de façade, empathique et boursouflée, dont le mètre étalon serait le Con te partirò chanté à la fin de Frangins malgré eux. Bref, rien, ou presque, ne semble avoir changé depuis les années 2000, lorsque Ferrell, avec d’autres, faisait souffler un vent de renouveau sur la comédie américaine. Du moins en ce qui concerne le squelette narratif : en surface, le déracinement géographique ne se réduit pas au seul accent qu’adoptent les personnages, matière à quelques rares gags langagiers (par exemple, Simon and Garfunkel se prononce « Semen and Garfunkel »). Le film généralise par ailleurs la captation de panoramas filmés au drone, ajoute ici et là quelques effets spéciaux grossiers (les baleines) et met légèrement à jour son logiciel comique, plus « inclusif » (cf. le personnage du chanteur russe gay et une intrigue où, pour une fois, l’entre-soi masculin laisse place à un véritable partenariat comique entre McAdams et Ferrell). Ces légères différences, qui témoignent qu’une dizaine d’années se sont bel et bien écoulées, ne masquent toutefois pas le plus important : ce succédané est bien loin de la folie et de l’irrévérence de Serial noceurs (réalisé lui aussi par David Dobkin), Anchorman et consorts.
Certes pas aidé par un scénario trop touffu, dont plusieurs sous-intrigues auraient gagné à être rabotées, The Story of Fire Saga pâtit aussi, on l’imagine, du tribut à payer pour filmer au plus près les arcanes du concours : non seulement le film tire étonnamment peu de scènes comiques de son versant musical (une exception : ce viking qui, lors de la phase de pré-sélection nationale, chante d’une voix aiguë), mais ressemble plus d’une fois à un spot promotionnel à peine déguisé, comme dans ce medley auquel se joignent d’anciens gagnants et participants (dont Bilal Hassani, le dernier représentant français en date). Assurément, le film manque de mordant (les seuls personnages vraiment moqués, et encore gentiment, sont d’ailleurs des Américains, puisque l’entreprise n’a vocation à choquer personne), n’osant pas complètement suivre la piste d’un télé crochet loufoque, prétexte à une suite de numéros musicaux comiques. On peut s’en étonner, au regard de l’historique de la manifestation, jusqu’à ce que l’on apprenne que le film devait sortir initialement en amont de la finale 2020 : forcément, le résultat ressemble davantage à une opération de communication qu’à une parodie. Dommage donc pour McAdams et Ferrell, dont la dernière apparition notable au cinéma commence à dater, et dommage aussi pour le spectateur, qui doit bien s’y résoudre : de l’esprit libertaire de la comédie US biberonnée au Saturday Night Live, il ne reste aujourd’hui plus grand-chose.