Passons sur le titre français totalement improbable du film (le traducteur avait-il préféré relire le chef-d’œuvre de Balzac plutôt que de regarder le film?)… Adapté d’une pièce française du XIXe siècle, Divorçons, That Uncertain Feeling («ce sentiment incertain») est une comédie de boulevard, un divertissement pur, sans contenu psychologique et sociologique caché. Pas forcément le genre privilégié du fin Lubitsch. Ainsi, et bien que le cinéaste retrouve à de nombreuses reprises sa verve et sa subtilité, That Uncertain Feeling est sans doute une de ses œuvres mineures. Pas de quoi pourtant renier notre éternelle admiration.
Jill Baker est une femme heureuse à tous points de vue: la rubrique mondaine des journaux en fait même ses choux gras en surnommant le couple qu’elle forme avec son mari Larry les «happy Baker». Seule ombre à l’horizon: Jill est affectée d’un méchant… hoquet. Pour le soigner, elle consulte un psychanalyste. Mais c’est dans la salle d’attente qu’elle va trouver le meilleur remède à sa névrose, en la personne d’un jeune pianiste misanthrope, Alexander Sebastian. Jill rêve d’une autre vie, et perd son hoquet en s’amourachant d’Alexander. Larry, qui ne croit pas une minute à cette liaison, n’a pas dit son dernier mot…
L’idée de départ est bonne. Grâce au fameux hoquet, Ernst Lubitsch peut se focaliser dès l’ouverture sur ce qui fonde une comédie réussie: le sens du détail. Le «hic» de Jill rythme ainsi la fin de toutes les premières scènes. Viennent ensuite le «keeks» de Larry, puis le « pffui » d’Alexander, onomatopées délicieuses qui au fil du film perdent leur absurdité hilarante pour donner sens à une situation. Sens du détail toujours, dans la présence récurrente d’objets, tels un vase ou un tableau, qui prennent de la valeur en devenant des personnages à part entière, détestés des uns et, par conséquent, adulés des autres.
Il y a plus encore dans le hoquet: le «hic» selon Lubitsch n’est pas qu’un bruit. C’est un dialogue, grâce auquel Jill, femme du monde, donc femme réservée, communique ses angoisses à son entourage. Et Lubitsch s’y connaît pour mettre en valeur le dialogue, quel qu’il soit: bavardage insupportable et incompréhensible d’un dîner entre Hongrois ou mondanités de deux femmes couvertes par le bruit d’un piano. On parle beaucoup dans That Uncertain Feeling, et suivre le dialogue devient presque un défi. Même le disque qui déraille, ou la musique qui vient souligner les plus vilains mots (tel «gargarisme») semble vouloir dire quelque chose. Mais le plus grisant, au fond, ce sont les dialogues «~écrits~», les clins d’œil directs du cinéaste à son public. Lubitsch, qui n’a jamais vraiment perdu les bonnes habitudes du muet, se fend de quelques commentaires par cartons interposés, d’une telle drôlerie qu’on regrette qu’ils ne soient plus nombreux.
C’est dans l’atmosphère générale donnée à cette comédie de remariage que Lubitsch brille le moins. Il y a évidemment quelques scènes purement géniales, notamment dans le positionnement des personnages. D’abord figé, le trio amoureux se déplace au gré des manigances de chacun. Le cinéaste découvre les petites cachotteries derrière les coulisses, joue avec la confusion et la surprise de ses personnages, comme dans ces deux scènes parallèles, où Larry découvre la présence du pianiste dans son appartement bien après que le spectateur en ait été informé, et vice versa. Mais il faut bien avouer que le film, pourtant court, traîne un peu en longueur, comme si Lubitsch n’avait pas pu gérer la sensation d’enfermement progressive dans cette atmosphère trop feutrée. Ou comme si, tout simplement, il n’avait su quoi faire d’un scénario rempli de banalités.
La fameuse «Touch» n’est pourtant pas plus perdue que les illusions. Il faut voir That Uncertain Feeling, car aucun film de Lubitsch ne mérite qu’on fasse la fine bouche.