C’est en arrivant à Hollywood, invité par Mary Pickford qu’il dirigera en 1923 dans Rosita, que Lubitsch fait définitivement le choix de la comédie, après avoir exploré le drame pendant sa période allemande. En 1926, le cinéaste est installé aux États-Unis depuis quatre ans lorsqu’il réalise Les Surprises de la TSF, le septième film de sa période américaine muette qui reste largement méconnue, comme celles de nombreux maîtres hollywoodiens de l’âge d’or (Ford, Walsh, Hawks…). Joyeuse pantalonnade qui illustre bien le goût du réalisateur pour la comédie de boulevard, Les Surprises de la TSF, comme souvent chez Lubitsch, est l’adaptation d’une pièce de théâtre (Le Réveillon de Henri Meilhac et Ludovic Halévy), et préfigure avec enthousiasme l’esprit subversif des chefs‑d’œuvre du parlant.
Sujet d’opérette, Les Surprises de la TSF en a aussi l’allure : claquements de portes, chassé-croisé amoureux endiablé, quiproquos à l’infinis, le tout dans un délicieux climat d’amoralité… Deux couples, les Giraud et les Lallé, habitent dans des appartements en vis-à-vis. Friande de lectures romanesques et orientalisantes, madame Giraud se retrouve toute émoustillée le jour où elle surprend ses voisins d’en face en pleine répétition d’une tragédie orientale, tous deux affublés de costumes de circonstance. Outré, le docteur Giraud s’en va chez les Lallé demander à monsieur d’éviter à l’avenir ce genre d’exhibitions. Il tombe sur madame, en qui il découvre l’une de ses anciennes maîtresses. Cette dernière lui propose bientôt de l’accompagner à un bal, tandis que sa femme devra résister aux avances pressantes de monsieur Lallé…
Pur divertissement, dans l’ensemble moins brillant et ciselé que les comédies ultérieures du cinéaste, Les Surprises de la TSF reste tout de même un objet inventif qui porte en germe tous les éléments de la fameuse « Lubitsch’s touch » : un sens certain du rythme, de l’ellipse et des moyens d’expression typiquement cinématographiques, tout autant qu’une élégance et une sophistication (jusque dans la satire la plus féroce) qui feront les beaux jours de la « comédie conjugale » à l’américaine dont le cinéaste restera l’un des maîtres incontestés. S’il porte encore la marque de tout un langage cinématographique propre au muet, et en particulier au comique muet, Les Surprises de la TSF annonce le cinéma parlant de l’auteur de Haute pègre par le nombre d’impulsions dramatiques issues du son à l’intérieur des scènes. Loin de refuser l’intertitre, Lubitsch en cultive les effets dans des séquences abondamment, et paradoxalement, « bavardes ».
Franchement boulevardière, l’intrigue incorpore pourtant un sous-texte proprement lubitschien dans sa manière de décrire avec acidité les illusions et la rugosité du jeu amoureux. Ce chassé-croisé où les faux-semblants sont légion fait quasiment l’apologie de l’adultère par son approche joyeusement immorale. On trouve par ailleurs dans cette illustration du jeu de la séduction un érotisme ostensible qui annonce déjà les sous-entendus subversifs et l’incandescence des peaux d’un Sérénade à trois (remarquons d’ailleurs que l’on a trop souvent réduit le cinéma de Lubitsch à la « comédie », et trop peu noté son aspect charnel).
Malgré ces différents aspects très représentatifs de la patte du cinéaste, ce sont les approches typiques du muet qui font avant tout le charme des Surprises de la TSF, et qui témoignent de l’inventivité de la mise en scène, dont certains effets viennent à propos rehausser la simplicité du dispositif filmique. On retrouve ainsi des gags qui pourraient évoquer le cinéma de Méliès (un homme rétrécit sous l’effet de sa honte, un personnage avale en rêve la très phallique canne avec laquelle il prévoyait de rosser son concurrent). Au cœur même du film, Lubitsch se laisse aller à une longue digression visuelle, séquence de bal endiablée qui nous plonge dans la fièvre des années 1920. Comme souvent dans le cinéma muet américain, l’influence des avant-gardes européennes se fait sentir dans ce kaléidoscope de corps endiablés : montage haché, effets de surimpressions, fractionnements de l’image, mouvements tournoyants jusqu’à la nausée… Emblématique d’une époque bientôt révolue, le charleston, où triomphent les personnages, évoque les valses symétriques des personnages, qui se forment et se séparent au fil du film, valse aux enjeux rebattus mais filmée ici avec gourmandise.