Il fut un temps où Disney avait une politique implacable pour la ressortie de ses classiques. L’ère du DVD et du téléchargement a complètement changé la donne. La 3D arrive-t-elle comme le messie ? En tous cas, elle se présente comme un argument marketing suffisant (à défaut d’être artistiquement convaincant) pour justifier la reprise sur grand écran de quelques classiques du studio, à l’image du Roi Lion, ode à la nature et aux grands espaces qui avait déjà eu les honneurs d’une réédition en IMAX.
Quarante-troisième film des studios Disney, Le Roi Lion est leur dernier gros succès en animation traditionnelle, le chant du cygne d’une décennie entamée par La Petite Sirène et qui, avec La Belle et la bête ou encore Aladdin, a signé le renouveau du studio. Fort de sa popularité, le film a eu également le droit a deux séquelles (sorties directement en DVD) et à une série TV centrée autour de Timon et Pumbaa. Il fut aussi, bien sûr, adapté en comédie musicale à Broadway avant de faire le tour du monde.
Pourtant, Le Roi Lion ne répondait pas forcément à la formule magique du studio qui commençait à faire ses preuves. À commencer par l’histoire qui est quasiment inédite. Même si l’on y trouve des réminiscences de « Hamlet » ou encore du manga japonais Le Roi Léo (ce qui a été l’objet d’une forte polémique, car Disney ne l’a jamais ouvertement reconnu), c’est l’une des rares fois où le studio n’adapte pas un conte ou un livre pour enfant. Le risque commercial et artistique était là. Et même si Disney croyait beaucoup au projet (d’abord intitulé The King of Jungle), on ne compte pas les réécritures du scénario, les multiples projections tests et les mois de retard pris dans la réalisation.
Le Roi Lion est aussi le premier dessin animé Disney à mettre au ban les humains et à jouer entièrement la carte de l’anthropomorphisme (Le Livre de la jungle, par exemple, restait centré autour de Mowgli, le petit d’homme). Les caractères des animaux y sont, pour autant, très bien définis et facilement transposables, à l’image des fables de La Fontaine. À commencer par Scar qui trouve sans problème sa place parmi les meilleurs méchants du studio. Il est la parfaite allégorie du dictateur, avec toute l’ambiguïté inhérente au personnage, comme en témoigne la chanson Be Prepared qui reprend les codes esthétiques de la propagande nazie. On pense également à Timon et Pumbaa. Par leur côté Laurel et Hardy, ils renvoient aux duos de buddies qui font les grandes heures de la comédie américaine traditionnelle. La crédibilité des personnages tient aussi de l’excellent casting de voix (Jeremy Irons, Matthew Broderick, Whoopi Goldberg, Rowan Atkinson, James Earl Jones en tête dans la version originale). Grâce à cette toute-puissance du règne animal, le film peut ainsi se permettre d’aborder de manière frontale des sujets plus adultes. La réflexion politique, quoique forcément un peu démagogique, a au moins le mérite de mettre en avant les méfaits des luttes de pouvoir et surtout leurs perspectives écologiques sur la conservation des terres. Mais c’est surtout dans la relation entre Simba et son père, que le film se montre le plus beau et convaincant. Contrairement à Bambi qui laissait la mort de la mère en hors-champ, la mort de Mufasa est montrée de plein fouet lors d’une séquence techniquement spectaculaire. À la forte émotion que suscite cet épisode, se surajoute l’injustice dont est victime son fils, Simba, accusé par Scar de l’accident et contraint à l’exil. Comme dans beaucoup de films Disney (et Pixar), le moteur narratif devient la quête du personnage principal. Ici, Simba devra apprendre à assumer son sang royal pour se voir restituer son pouvoir, tout en composant avec son exclusion arbitraire et la douleur du deuil.
Musicalement, enfin, Le Roi Lion se détache aussi des dernières habitudes du studio. En prenant un compositeur venu du monde de la pop – Elton John – pour écrire les chansons, Disney s’émancipe un peu de la couleur « Broadway » des dernières partitions d’Alan Menken (le studio réitérera ce parti pris en prenant Phil Collins pour Tarzan). Il y avait très certainement la volonté d’avoir une ambiance moins lyrique et plus en phase avec l’univers du film, en somme quelque chose de plus rock et de plus ethnique. À ce niveau, Elton John a parfaitement rempli le cahier des charges et a livré une série de tubes, de The Circle of Life en passant par le tableau délirant I Just Can’t Wait to Be King, que l’on dirait sorti du Douanier Rousseau, sans oublier la célèbre balade Can You Feel the Love Tonight. Rendons également justice à Hans Zimmer qui, lui, a signé la musique non chantée du film.
À revoir Le Roi lion aujourd’hui, on aurait pu craindre le dessin un peu ringardisé par les prouesses techniques auxquelles nous ont habitués Pixar et DreamWorks. À ce niveau, le film n’a pas trop marqué le poids des années. À croire que rien ne résiste aux rois de la jungle. Il faut dire qu’esthétiquement, Le Roi Lion mettait déjà le paquet pour l’époque. S’il n’y avait qu’une scène à garder, cela serait évidemment l’ouverture, tout en crescendo, sur The Circle of Life. Extrêmement bien construite, on y voit tout le soin apporté par les dessinateurs du film à reproduire les animaux et les décors, notamment par un travail minutieux sur les arrière-plans et les couleurs (pour l’anecdote, les équipes artistiques ont été envoyées plusieurs mois en Afrique pour faire des croquis et s’imprégner du cadre). Cette entrée en matière spectaculaire montre aussi, une fois n’est pas coutume, la liberté d’écriture filmique dont jouit le cinéma d’animation par rapport au cinéma traditionnel. Certains effets de travelling ou des placements de caméras seraient tout simplement impossibles dans des conditions réelles. Le Roi Lion n’est pas avare en morceaux de bravoure de ce type. On a ainsi évoqué plus haut la séquence de la mort de Mufasa qui mixe dessins traditionnels et animation assistée par ordinateur. De fait, devant cet étalage de belles images, on attendait beaucoup de la 3D. Mis à part quelques effets de profondeur et une meilleure immersion, le relief devient vite anecdotique et montre une fois encore les limites du procédé quand le film n’a pas été pensé en 3D au moment du tournage (comme ce sera le cas avec Raiponce). Pas de quoi rugir d’émerveillement donc. Mais il reste quand même le plaisir nostalgique de redécouvrir (ou faire découvrir aux nouvelles générations), l’un des derniers grands classiques de l’animation traditionnelle.