Seulement quelques mois après la sortie de Dans Paris, Christophe Honoré s’attelle à la réalisation d’une comédie musicale à la manière d’un Jacques Demy : les voix sont fluettes, les chansons sont légères, mais les thèmes n’en sont pas moins graves. En dépit de certains tâtonnements et de certains artifices, Les Chansons d’amour finit par susciter une émotion retenue où la mélancolie vient se conjuguer au souffle de la liberté.
Chez Christophe Honoré, cinéaste, scénariste, écrivain et ancien critique de cinéma, les débuts ne constituent jamais le point fort des films. À l’instar de Dans Paris qui s’encombrait d’un prologue assez indigeste pour finalement révéler toute son étonnante richesse et sa délicate tristesse, Les Chansons d’amour fait ce même choix, exacerbant l’impatience du spectateur qui ne se doute pas encore de ce que lui offrira finalement le film. Tout commence donc autour d’Ismaël (Louis Garrel), Julie (Ludivine Sagnier) et Alice (Clotilde Hesme), acteurs d’un ménage à trois dont le centre de gravité se déplace de l’un à l’autre sans que jamais le trio ne parvienne à trouver son équilibre. Dans cette partie que le réalisateur nomme « le départ », les références aux cinéastes de la Nouvelle Vague abondent, parfois jusqu’à l’indigestion. Le parti-pris est celui de la légèreté et du badinage amoureux dans une ambiance à la fois branchée et cultivée où on déclame son amour du cinéma, de la littérature et de la nouvelle scène de la chanson française. Le cadre a de quoi irriter, d’autant plus que le jeu des acteurs peine parfois à trouver ses marques, peu aidés par un cadre flottant, un montage qui manque de nerf et des dialogues chantés parfois approximatifs. Même les scènes de repas de famille chez les parents de Julie sont en demi-teinte alors que de nouveaux personnages – la mère (Brigitte Roüan), la sœur Jeanne (Chiara Mastroianni) – entrent en scène. Pourtant, lorsque la mère discute avec sa fille Julie dans la cuisine, quelque chose tend à se fissurer et annonce l’évolution du film. La jeune femme incarnée par Ludivine Sagnier porte une absence, un éloignement face à ce quotidien trop parfait où chacun peut rester le centre de son petit monde sans en souffrir. Ce personnage offre au réalisateur quelques beaux élans d’inspiration, notamment lorsqu’il la filme de dos marchant dans les rues sombres de Paris ou lorsque le cadre s’amuse à glisser autour d’elle pour mieux souligner son évanescence ou pour anticiper le flot de souvenirs mélancoliques qui lui seront liés.
Comme dans Dans Paris où un personnage hors champ – une sœur décédée soudainement – devenait le nœud des rapports familiaux, la disparition brutale de Julie va à son tour faire éclater un microcosme pour mieux rapprocher chaque personnage de cette vérité que le confort et la satisfaction de soi lui avaient fait contourner. Sur le trottoir anonyme aux abords d’une salle de concert, la vie quitte soudainement Julie, plongeant Ismaël dans une stupeur mêlée d’incompréhension tandis qu’Alice, restée à l’intérieur de la salle, ignore tout du drame qui se joue à quelques mètres d’elle. La quête pour oublier ne se fait bien évidemment pas sans égarements et Christophe Honoré s’amuse à remettre en cause avec un certain brio les identités sexuelles de chacun. Si Alice se console avec une certaine légèreté dans les bras d’un garçon alors qu’elle aimait avant tout Julie, Ismaël, l’éternel séducteur de ces dames, finira par tomber dans les bras d’Erwann (Grégoire Leprince-Ringuet), un jeune lycéen qui a la fraîcheur et la naïveté de celui pour qui tout commence. Mais c’est avant tout ce refus du cloisonnement qui permet aux deux anciens amants de poursuivre leur chemin. Du journal où ils travaillent tous les deux aux rues de Paris où il s’égarent, en passant par les appartements où ils ne font que passer pour mieux repartir, Ismaël et Alice sont en quête d’eux-mêmes mais surtout tenus par cette volonté plus ou moins consciente de renouer avec la vie quand la famille de Julie vit sans s’en apercevoir dans l’immobilisme le plus morbide. La mère surnage en tentant d’intégrer tous les endeuillés à sa famille et Jeanne, la sœur silencieuse et esseulée, semble avoir renoncé à un point aux plaisirs de l’existence qu’elle ne comprend pas le papillonnage d’Ismaël.
Les Chansons d’amour, un pluriel justifié par la présence d’une dizaine de passages chantés mais aussi par les innombrables tonalités que chaque personnage prête au deuil, devient un film à plusieurs vitesses. Porté par l’amour du jeune Erwann, Ismaël redevient peu à peu le moteur de sa propre existence. Et paradoxalement, là où il démontre certaines limites dans une peinture plutôt crispante d’un certain bonheur, Christophe Honoré parvient à capter l’immatérialité d’un souvenir trop prégnant dont on tente de se libérer pour ne pas disparaître avec lui (voir la magnifique scène dans le cimetière de Montparnasse où Ismaël retrouve le spectre de Julie). Tout au long du film, le jeune homme déambule sur un fil fragile, à la fois téméraire et à la recherche de mains tendues. La très belle scène de fin, déclaration bouleversante sur le bord d’une fenêtre où chacun tangue avec amusement entre l’amour et la mort, donne au film une résonance d’une intensité soudaine, où le choix de la vie reste le meilleur moyen d’honorer la mémoire de nos morts.