Une scène d’ouverture qui précède le logo du studio producteur, un générique de début… Certains détails faussement anodins ne trompent pas. Avec Les Gardiens de la Galaxie, portage à l’écran de personnages maison plus confidentiels que les Avengers, Marvel Studios n’avance pas en terrain complètement connu, ne peut donc pas (pour l’instant) tabler sur l’idée d’un rendez-vous familier avec son public plus ou moins averti, et prend des risques calculés. C’est sûr, l’identification du public ne sera pas tout à fait la même qu’avant, avec un quintette de bourlingueurs de l’espace d’espèces diverses mais tous peu à l’aise avec la loi, l’ordre et même l’esprit de groupe (le seul humain parmi eux est un voleur, les autres ont le meurtre facile). C’est pourquoi l’humour potache qui irrigue tout le film sans faiblir dans le sillage de cette « horde sauvage » est un outil à double tranchant. Essentiellement basé sur les différences de perceptions dans la communication (conflit entre premier et second degré, langage de Groot l’arbre ambulant basé sur trois mots de vocabulaire et de multiples intonations…), il agit à la fois comme un écart récréatif aux habitudes de la maison (une pause toujours bonne à prendre dans l’esprit de sérieux des productions Marvel actuelles) et comme une soupape de sûreté (une diversion pour éviter de prendre les choses sérieusement). Il s’agit de toujours assurer ses arrières, même pour sortir un peu de ses ornières.
Il faut dire que malgré les péripéties scénaristiques déployées pour faire se rencontrer ces fortes têtes, on en reste au passage obligé de toute nouvelle franchise : l’épisode d’exposition, voué tout entier à mettre en place les personnages et laisser entrevoir les enjeux futurs. Du coup, on y croque avec délectation les caractères, mais on ne met que très modérément ceux-ci à l’épreuve des circonstances, uniquement aux points-clés du scénario. Comme il s’agit de mettre assez tôt le public dans sa poche, cette présentation fonctionne (et fonctionne bien) par séduction immédiate, de par la nature exotique des personnages et l’énergie mise à exprimer leur forte personnalité — et le statut de mascotte instantanée déjà acquis par Rocket, le raton-laveur génétiquement modifié, parlant, vif de la langue et de la gâchette, et sévèrement sociopathe, n’est pas usurpé. Mais pour les faire exister au-delà du premier degré, c’est un petit peu plus laborieux, eu égard à l’impératif d’installer solidement les personnages avant de les faire évoluer dans des épisodes futurs. Les Gardiens de la Galaxie maintient Marvel Studios comme le fournisseur des blockbusters du moment les plus concernés par leurs personnages, et c’est heureux ; mais chez ces personnages-là (et dans l’intrigue qui les amène), l’aspect haut en couleurs, si décalé qu’il soit, prime sur la profondeur de ce qu’on pourrait faire passer à travers eux.
« Hooked on a feeling »
Devrait-on, dès lors, considérer cette première pierre de franchise comme une mise en bouche amusante, sympathique mais oubliable sitôt vue pour passer à l’étape suivante ? Ce serait aller vite en besogne. Même dans un plan commercial aussi élaboré que celui de Marvel Studios, ce n’est pas rien de s’écarter, au moins sur un de ses versants, de l’état d’esprit qui a animé jusqu’ici les produits de la maison, pour essayer une formule alternative tout aussi pleine de promesses. Derrière la fanfare calculée des bad boys de l’espace, subsiste un vrai désir de nouveauté, dont peut-être la plus forte marque consiste à rompre avec la contemporanéité dominante, en invoquant habilement par le scénario une grosse playlist de vieux tubes pop pour en faire l’élément fondateur d’un personnage, le lien qui le rattache au monde (alors que même un Captain America émergeant dans les années 1940 était mis en scène du point de vue goguenard de narrateurs du XXIe siècle), voire pour aligner le film sur cette redécouverte nostalgique. À voir par la suite, quand les Gardiens iront se frotter au reste de la galaxie (et, dit-on, aux Avengers), si ce désir-là suscite de plus mémorables étincelles.