Intronisé dans le cercle des références honorables avec Moonrise Kingdom en ouverture du Festival de Cannes, Wes Anderson signe un nouvel exercice de style, celui-là même qu’il a travaillé et affiné depuis son premier film, Bottle Rocket. En suivant l’épopée de deux gamins frondeurs et amoureux, il trouve une certaine impulsion qui manque cruellement au reste du long-métrage.
Symétrie des plans, dont l’axe central est souvent campé par les personnages, travellings latéraux « en coupe », et détachement documentaire, ici incarné par un météorologiste bonhomme : dès le prologue, pas de doute, il s’agit bien d’un film de Wes Anderson. Il s’attache cette fois à une histoire d’amour, reléguant la principale question qui l’avait occupé jusqu’alors, la filiation, au second plan. Force est de constater que la « variation », toute entière portée par le couple Suzy/Sam, est réussie : les deux enfants sont d’une justesse impressionnante, qui fait de la fugue des amants une échappée libertaire et transgressive. La sexualisation des enfants n’y est pas étrangère, heureusement bien présente dans cette équipée sauvage.
« Quand on est poussé à bout, on est capable de tout » affirment des enfants revêches et débrouillards qui font tourner les adultes en bourriques au son de Hank Williams, et maîtrisent les arcanes des compositions de Benjamin Britten. Face à eux, des adultes, incapables en plus d’être irresponsables : le tout jeté dans une traque plus sanglante que le sage Hunger Games. Les péripéties, entre western et film de guerre, portent à son paroxysme la caractéristique majeure des personnages de Wes Anderson : l’adulte tend vers la filiation, l’enfant s’en détache. Bill Murray quittait La Vie aquatique avec un gamin sur les épaules, parce que les plus jeunes ont toujours l’avantage de l’espoir.
On l’aura compris, Moonrise Kingdom est un film d’équipe. Pas pour ses scouts, rarement en formation serrée, mais pour son équipe technique. Robert D. Yeoman, de retour au poste de directeur de la photographie, se charge de magnifier les couleurs, les tons et le cadrage désormais indissociables de Wes Anderson, tandis que Roman Coppola rédige une autre de ces histoires d’enfant(s) sans père et d’adultes dépassés, le tout sur une musique d’Alexandre Desplat, fidèle au poste d’excellent compositeur (et à qui Anderson rend un bel hommage). Ajoutez à cela le casting des habitués, dont le jeu reflète le plaisir d’être sur le plateau. Toutefois, cette réunion de proches collaborateurs finit par laisser le spectateur loin derrière quand le réalisateur délaisse son histoire d’amour pour des scènes plus grandiloquentes, mais peu motivées. L’aspect métaphysique de l’ensemble, souligné par le Noah’s Flood de Britten, des éclairs et des torrents déchaînés, en laissera plus d’un dubitatif… En tentant de renforcer tant bien que mal cette synthèse d’une filmographie, le réalisateur finit par desservir une histoire d’amour pourtant plus à même de donner un véritable souffle à son long-métrage. D’autant plus que le scout court vite…