Radegund est un village « situé au-dessus des nuages », détail qui a son importance dans l’économie du récit. D’abord parce que la Seconde Guerre Mondiale, qui vient troubler la belle harmonie du hameau, se voit dans un premier temps figurée par le simple son d’un avion transperçant le ciel, mais aussi et surtout parce que cette position intermédiaire entre deux strates constitue le sujet de ce nouveau film de Terrence Malick. Une Vie cachée raconte précisément l’histoire d’un paysan, Franz (August Diehl), qui, tiraillé entre la terre (sa patrie) et le ciel (sa conscience et sa foi), refuse de prêter allégeance à Adolf Hitler, quand bien même ce serment, imposé à tous les appelés autrichiens, prend la forme d’une déclaration qui n’a pas, selon les autorités qui viendront tourmenter Franz, vocation à être sincère. Ce hiatus entre le ciel et la terre est au cœur de la plus belle partie du film, la première, où les images de l’Éden encore intact sont salies par la laideur de la violence nazie, donnée à voir par une série d’archives. Très belle idée de montage, qui innerve souterrainement un segment où l’écriture malickienne, riche en courtes épiphanies, retrouve une vigueur un peu perdue depuis Knight of Cups. Il en va ainsi de cette magnifique scène où Franz, après avoir été appelé une première fois sous les drapeaux, revient au village et retrouve sa femme. La découpe hachée épouse parfaitement les approximations du couple qui, dans une chorégraphie où ils apparaissent tous deux désynchronisés, se touchent maladroitement, s’étreignent un peu trop vivement, s’effondrent par terre, ivres du bonheur des retrouvailles.
Soit une scène bouleversante, qui s’insère toutefois dans un film dont l’évolution déçoit nettement par la manière dont il substitue à l’horizon du déchirement (deux pôles : ciel et terre) celui d’une série de dualismes. Il n’est pas tout à fait anodin, au-delà des conventions hollywoodiennes, que le film oppose l’allemand (ici langue de la violence et des trivialités noyées dans l’arrière-fond sonore) à l’anglais (langue de la prière, des lettres lues et des conversations philosophiques), comme il opposera ensuite la nature souveraine des montagnes à l’horizon bouché des villes et des prisons, puis ultimement la lumière contre l’ombre et la vitalité contre la mort. La détermination de Franz, fruit d’une conviction qui l’animera jusqu’au bout, induit par ailleurs une trajectoire monolithique, celle d’un chemin de croix et d’une descente dans les tréfonds de l’âme humaine. Malick retombe peu à peu dans ses travers, en procédant à un aplatissement par l’entremise d’un montage rouleau compresseur où tout se voit lyricisé jusqu’à l’épuisement. Il faudrait peut-être enfin préciser que la métaphysique malickienne souffre aujourd’hui d’un paradoxe qui l’entrave : d’abord mue par une ouverture absolue, découlant d’une vision panthéiste (Dieu est en toute chose, du micro au macro), elle se trouve finalement canalisée par une série de tropismes (le Paradis perdu, la faute originelle) bordant l’avancée du montage et par là la figuration d’un vertige sensoriel et mystique. Dommage donc, tant Une Vie cachée séduit localement, mais il faut savoir reconnaître un film raté, quand bien même il contient des fragments d’une grande beauté.