La nouvelle que Malick présentait un documentaire au festival de Venise avait de quoi surprendre. Et après vision, il est malaisé d’insérer le dernier film de Malick dans cette catégorie. Davantage qu’un documentaire, Voyage of Time : Life’s Journey se présente comme une méditation sur le monde et une ode à la nature. Le dispositif, ancré dans la filmographie du cinéaste, est donc celui du poème visuel, qui occupe ici la totalité de l’espace filmique. Délesté des contraintes de la fiction, Malick s’abandonne entièrement à sa veine contemplative : ces échappées qui traversaient ses précédents films sont devenus la matière même de ce dernier opus.
Loin des « belles images »
L’enjeu est ici de mettre en scène le « voyage » de la vie et du temps, avec cette ambition cosmique qui est comme la signature du réalisateur. En toute probabilité, son film continuera de diviser à la façon des autres, entre ceux qui n’y verront que velléités mystiques et « belles images », et ceux qui feront l’éloge de la force poétique d’un cinéaste à la démarche sans équivalent. Mais avant toute chose, il faut rendre à Malick ce qui lui appartient, et préciser que ses images ne sont pas de « belles images ». Elles sont stupéfiantes, des visions d’une qualité telle qu’on s’étonne que l’on puisse filmer la nature d’aussi près et avec autant de précision, à l’image d’un plan rapproché d’une baleine qui laisse entrevoir les multiples cicatrices striant sa peau. Surtout, et en dépit des affirmations selon lesquelles il fait du National Geographic, c’est bien le rythme et l’enchaînement de ces visions, pétries de sens, qui dévoilent une intelligence filmique hors pair. Malick parvient à renouveler des visions aussi classiques que celle de la savane, comme lorsqu’il nous montre un troupeau de zèbres en contreplongée, ou les herbes folles à travers une perspective simulant celle d’un guépard. Où à atteindre l’allégorie, dans un seul plan. C’est ainsi que la violence destructrice de la nature est vue à travers l’apparition d’un poisson-lune flottant au milieu des eaux, vision idyllique suivie par celle du même poisson, à la renverse, alors qu’une otarie a creusé un trou sous sa gorge. Et l’on reste émerveillé devant ces passerelles qui se créent, d’une image à l’autre, alors qu’un gros plan d’une fleur évoque soudain la gueule ouverte d’une bête, ou qu’un ovule vu de près suggère la vision du soleil sur lequel le film conclura sa trajectoire.
Licences poétiques
Cependant, c’est quand il évoque la place de l’homme dans la grande fresque cosmique que le discours du cinéaste devient plus attendu. Une reconstruction de la vie des premiers hommes intervient à mi-chemin. Si certains passages visent juste, comme celui où les hommes se peignent le corps pour la première fois avec un mélange de joie et d’hilarité, l’ensemble surprend par l’idéalisation à laquelle se livre le cinéaste, dont les hommes de Cro-Magnon, à la plastique irréprochable, semblent tout droit sortis de Vogue. En ce sens, Voyage of Time n’est pas un documentaire : en raison des licences poétiques qu’il se concède, le film ne nous apprend rien, ni sur la nature ni sur l’homme. À la façon dont il évacue les contraintes de la géographie en nous montrant « la » nature, Malick nous présente les humains comme une seule entité, loin de toutes ces contingences que sont leurs différentes histoires et cultures. On regrette donc l’absence d’un effort de contextualisation où faire interagir le temps des hommes avec celui du cosmos, pari qu’avait magistralement réussi Patricio Guzmán il y a quelques mois avec son Bouton de nacre. Là se trouve la limite de Voyage of Time : ce dernier opus ne comporte pas de véritable prise de risque. On retrouve Malick tel qu’on le connaissait, seulement un peu plus avancé dans les choix esthétiques et poétiques propres à son cinéma. Poursuivant son voyage en somme. Amateurs et détracteurs y trouveront leur compte.