Capricci et Les Prairies Ordinaires publient, à l’occasion de la sortie en salles de Django Unchained, un recueil de textes consacrés à la filmographie de Quentin Tarantino. L’occasion pour différents critiques de cinéma, anthropologues et philosophes de se pencher sur l’œuvre de l’enfant terrible du cinéma américain, en la considérant, une fois n’est pas coutume, avec le plus grand sérieux.
Objectif avoué de cet ouvrage : réussir à regarder l’œuvre tarantinesque en s’affranchissant du jeu des références, en se libérant d’une cinéphilie toujours trop envahissante lorsqu’il s’agit d’approcher la bête, et qui empêche finalement de « voir » les films. Une gageure, donc, que de se mettre à la recherche d’autres angles qui, sans oublier que la citation est une composante fondatrice du cinéma de Tarantino, permettraient de l’aborder de front, tant sur le plan esthétique qu’idéologique, voire politique. Ce qui frappe à la première lecture de cet ouvrage est son aspect touffu et complexe, empreint de terminologies parfois obscures, qui nécessitent un véritable effort de recherche de la part du lecteur. Il serait pourtant dommage de s’en tenir là, tant les différents textes, après quelques passages ardus, ouvrent souvent des portes inattendues qui sonnent comme autant d’évidences cachées au sein de l’œuvre.
Car il y a bien de quoi se raccrocher à quelques refrains connus, notamment sur l’importance déterminante de la parole et des registres de langage chez Tarantino, pour réussir à percer les avancées de la pensée autour de cette courte filmographie. Le langage y est, au détour des différents textes, rendu tour à tour à une dimension noble (à propos de Pulp Fiction : « Introduire du langage dans le genre le plus bas et le plus trash »), révélatrice (« Les jeux du langage dans Boulevard de la mort organisent l’irruption de l’image ») ou trompeuse, car source de distraction pour les personnages. À ce titre, il faut signaler la très judicieuse idée de publier à nouveau le texte, agrémenté d’un post-scriptum, que Pascal Bonitzer consacra à Pulp Fiction dans le numéro 13 de la revue Trafic en 1995, premier article qui tentait de « prendre au sérieux » celui que l’on considérait à l’époque comme un sale gosse arrogant et trop doué. Bonitzer y développe toute une théorie extrêmement pertinente sur le suspense chez Tarantino, fondé sur la distraction des personnages, résumable en un savoureux théorème : « Le suspense, c’est le produit de la procrastination des personnages (voués à l’action) par l’impatience des spectateurs (voués à l’inaction), en fonction d’une alternative cruciale dont le paradigme est vie/mort, mais qui peut recevoir divers contenus ». Tout un programme.
Ce livre contient également un texte salvateur à propos d’Inglourious Basterds par Marie Gil et Patrice Maniglier, qui viennent réaffirmer son importance sur la base de la représentation de l’extermination des juifs d’Europe. On aurait pu craindre un développement laborieux, il n’en est pourtant rien. En partant du principe de dissonance, emprunté à l’ironie romantique, les deux auteurs tracent un sillon qui les amène à considérer le film comme « une vengeance » qui ne répare rien, mais oppose un symbole à notre réalité. Ils font bien évidemment référence à cette uchronie que créée Tarantino en réinventant la fin du IIIème Reich, comme une réponse aux conservatismes : « Une vengeance qui ne fait de mal à personne, une vengeance qui ne se nourrit que de sa propre possibilité, […] qui est entièrement actualisée […] contre notre imaginaire limité par des scrupules idéologiques ».
On aimerait en dire plus, citer d’autres passages, tant l’ouvrage semble se prêter à de multiples relectures, notamment après (re)visionnage des films. Le risque était pourtant là, à vouloir ouvrir d’autres voies vers le cinéma de Tarantino, de finir par plaquer d’autres lectures tout autant autoritaires que celles qui se font à coup de références. Et même si le langage se fait parfois l’écho des domaines d’expertises de chacun des auteurs, il pousse, au même titre que les dialogues chez Tarantino, à chercher ce qui se cache derrière, ce qu’il tente de révéler, de faire surgir. Ce n’est pas le moindre des mérites pour un livre salutaire que l’on n’attendait plus.