Lorsque Rick Dalton (Leonardo DiCaprio) confie avoir figuré sur la short list des acteurs retenus par John Sturges pour jouer dans La Grande Évasion, une brève parenthèse le voit endosser le rôle du capitaine Virgil Hilts en lieu et place de Steve McQueen. Rick Dalton se retrouve alors à jouer dans un film qui aurait pu changer sa carrière à jamais et lui permettre d’intégrer une industrie dont les portes, à ce moment du récit, ne lui sont pas encore ouvertes. En reproduisant les propriétés initiales du tournage de La Grande Évasion pour intégrer, à l’aide d’un fond vert, DiCaprio dans les images d’un film sorti il y a plus d’un demi-siècle, la démarche de Quentin Tarantino fait écho à l’une des brèches récemment ouvertes par le numérique : le deepfake. Cet outil, aussi appelé permutation intelligente de visages, vise à stimuler de nouveaux traits et expressions sur une figure préexistante jusqu’à parfois remplacer intégralement un visage par un autre. Depuis déjà quelques temps, il se répand sur internet sous plusieurs formes au gré de campagnes d’avertissements, de revenge porn, d’applications virales ou de compilations parodiques qui intègrent, par exemple, le visage de Nicolas Cage au sein de nombreux films. Bien qu’elle s’inscrive dans la même perspective, à savoir transformer et détourner des images préexistantes via un trucage dont la précision ambitionne un certain photoréalisme, la scène de Once Upon a Time… in Hollywood diffère toutefois de l’usage qui en est habituellement fait. D’abord parce qu’il ne s’agit pas d’une simulation algorithmique (Leonardo DiCaprio a lui-même (re)joué la scène), ensuite car elle n’implique pas seulement une permutation de visages (son corps tout entier se retrouve dans le film de 1963). C’est qu’au-delà du détournement ou de l’altération d’une donnée initiale (un extrait, un discours politique, un portrait, etc.), cette parenthèse mélancolique encourage plutôt le réenchantement d’un film par la mise en scène d’une hypothèse volontiers enfantine : et si Rick Dalton avait joué dans La Grande Évasion ? Ces quelques images ne sauraient en cela s’apparenter à un quelconque révisionnisme historique. Dans Once Upon a Time… in Hollywood, la scène est précisément conditionnée par le fait que c’est bien McQueen, et non Dalton, qui a obtenu le rôle. Le souvenir de McQueen en est d’autant plus fort qu’il est apparu au début du film, au Manoir Playboy, sous les traits de Damian Lewis. Toujours présent sans être vraiment là, l’acteur d’origine brille par son absence.
En d’autres termes, cette permutation autorisée par le numérique sonne comme une joyeuse invitation à réinvestir l’histoire du cinéma et des images pour leur offrir un second souffle par l’entremise d’un rêve d’enfance. La scène se rapproche dès lors de celle de Shining dans Ready Player One de Steven Spielberg, où des joueurs de l’Oasis traversent un hôtel Overlook en perpétuelle mutation, ou d’une autre, dans Charlie et la chocolaterie de Tim Burton, au cours de laquelle une tablette de chocolat remplace le monolithe sacré de 2001, l’Odyssée de l’espace avant qu’un enfant ne soit téléporté à l’intérieur d’une télévision. Ces voyages dans l’histoire du cinéma, qui prennent la forme d’évasions merveilleuses ou cauchemardesques, de simples parenthèses hypothétiques (Tarantino) ou d’explorations virtuelles (Spielberg, Burton), dessinent une nouvelle perspective ouverte à tous les possibles. Affaire à suivre.