Michelangelo Antonioni est avec Ingmar Bergman le grand cinéaste des femmes. Mais avant la rencontre avec Monica Vitti et l’orientation de son cinéma vers les figures de femmes isolées dans les années 1960 (L’Avventura, La Notte, L’Éclipse, Le Désert rouge), il s’est dans un premier temps, comme le cinéaste suédois, intéressé au groupe. Il dévoile ainsi dans Femmes entre elles (qui n’est pas d’ailleurs sans faire écho au Rêves de femmes de Bergman, sorti la même année), les rapports contradictoires qui animent une petite communauté féminine dans le Turin de la classe moyenne. Le film s’ouvre sur Clelia, jeune Romaine tout juste arrivée à Turin incognito et que les circonstances ont tôt fait de projeter dans le tumulte de la vie turinoise : sa voisine, la très jeune Rosetta, a tenté de mettre fin à ses jours. Cet incident dramatique marque pour la jeune femme le point de départ d’une série de rencontres et d’évènements qui vont ponctuer sa nouvelle vie, jusqu’à une résolution inattendue. Femmes entre elles, c’est d’abord la rencontre entre Clelia et Momina, amie de Rosetta. Ensemble, elles vont mener l’enquête et tenter de découvrir la raison pour laquelle la jeune femme a tenté de se tuer. Elles mettent rapidement la main sur Lorenzo, peintre bellâtre à l’origine de l’acte désespérée de Rosetta, dans un plan qui les réunit tous trois autour du portrait de Rosetta peint par Lorenzo, maillon manquant au cercle qui s’agite autour de la semi-morte.
Puis au duo mortifère formé par Clelia et Momina vient s’ajouter Nene, compagne officielle de Lorenzo. La dynamique amoureuse qui s’inscrit alors dans le film n’est pas sans rappeler La Ronde de Max Ophuls (l’attention scénaristique passant de Rosetta à Lorenzo, de Lorenzo à Nene), la tragédie en plus. D’autres femmes viendront par la suite s’ajouter progressivement au groupe, pour finalement former un conglomérat un peu évaporé. Car si les Femmes entre elles du début du film se caractérisaient par leur solidarité, ce titre équivoque désigne par la suite le comportement des femmes entre elles dans l’adversité, la jalousie et l’amertume. Il faut voir Momina entourée de ses pairs, reine parmi les reines, regarder au loin un couple s’embrasser et dire : « Si un homme embrasse en public, c’est qu’il n’éprouve rien », contre-champ annihilant face à la figure maîtresse du film, à son cœur dramaturgique. Celle qui s’inquiétait de la santé de son amie, parmi les hommes, s’emploie désormais à l’humilier en public. La boucle est bouclée alors que Rosetta, de nouveau rejetée par Lorenzo, réalise finalement pleinement sa pulsion de mort, inscrivant le film comme le récit non de sa convalescence, mais de son sursis. Clelia quant à elle choisit de fuir la possibilité d’une histoire en quittant Turin, préférant la tranquillité d’une vie à Rome aux aventures tragico-amoureuses vécues à Turin.