Troisième et dernier volet d’une série d’articles consacrée au rôle de la lumière dans le jeu vidéo.
Bien que le mode Survie ne soit pas le plus prisé des joueurs de Minecraft, il replace la question de la lumière au centre du célèbre jeu de construction qui tend, dans d’autres modes, à perdre en importance.
Le sens de l’orientation
Dans ce volet du jeu, différents monstres (araignées, zombies, squelettes et autres enderman) se cachent dans l’obscurité pour attaquer le joueur et lui faire perdre l’ensemble des ressources amassées. Ces créatures surgissent à la surface, une fois la nuit tombée, ou dans les galeries souterraines du jeu, indépendamment du cycle jour/nuit qui n’impacte que la partie émergée. Le joueur est encouragé à explorer ces galeries ou à en creuser lui-même afin d’avoir accès aux ressources les plus rares. Fer, or, diamant et autres minerais ne peuvent être collectés qu’à un certain niveau de profondeur, demandant au joueur d’affronter l’obscurité et les monstruosités qui s’y terrent pour progresser. C’est dans les méandres de ces souterrains que la lumière s’avère plus décisive que jamais. Contrairement à bon nombre de jeux d’aventure et d’exploration, il est ici impossible de tenir une torche allumée à la main durant ses déplacements pour éclairer dynamiquement l’espace : le joueur ne peut que placer des torches à des points fixes.
Générant un agencement inédit de l’espace à chaque nouvelle partie selon un ensemble d’algorithmes, le système de création de mondes de Minecraft, dit procédural, complexifie de prime abord le rapport que l’on peut entretenir avec l’espace. Chaque début de partie consiste en l’exploration d’un monde dont les spécificités et la composition nous sont au départ inconnues. L’avatar du joueur apparaît sur une position aléatoire sans indication ni but précis, produisant une désorientation immédiate qui ne pourra être atténué qu’en plaçant différents points de repères tout au long de l’aventure. Dans une cavité inexplorée, le joueur peut positionner des torches pour éclairer les tunnels qu’il aurait déjà traversés, afin de ne pas se perdre (voir images ci-dessus). À la surface, éclairer le haut d’une colline ou d’un arbre permet également de retrouver son chemin dans un monde où l’obscurité est associée au danger et à la mort. Pour mener à bien sa collecte, le joueur est donc invité à éclairer les lieux avec attention et méticulosité, afin d’éviter toute mauvaise surprise. La lumière de Minecraft finit ainsi par s’avérer à double-tranchant, en cela qu’elle affine et trouble dans le même temps la perception de l’espace. D’une part elle clarifie la topographie en permettant au joueur de se repérer et de se protéger du danger, d’autre part elle lui rappelle sa vulnérabilité en exhibant toute la complexité d’un monde tentaculaire : éclairer une cavité gigantesque permet à la fois d’y voir plus clair et de prendre la mesure d’une structure colossale.
Des ressources à la source
L’ambivalence de la lumière dans Minecraft ne s’arrête pas là, puisque la fabrication des sources lumineuses, qui aident le joueur à collecter des ressources, nécessite déjà d’en trouver (des bâtons de bois et des minerais de charbons forment des torches, mais il existe d’autres sources de lumière qu’il est possible de trouver ou de crafter durant le jeu). Ce coût de la lumière implique de placer et d’utiliser ces sources lumineuses de façon responsable et ingénieuse. Il est en cela essentiel de les disposer dans l’espace en fonction de la portée de leur rayonnement, mesurable selon un nombre prédéfini de blocs, afin d’éviter le gaspillage des ressources tout en parvenant à éclairer efficacement l’ensemble d’un lieu (cf. schéma d’optimisation de l’éclairage ci-dessous à gauche).
Si le style graphique de Minecraft présente l’environnement comme un ensemble géométrique fait de cubes, de lignes et d’angles droits, la trajectoire de la lumière ne déroge aucunement à cette règle. On peut donc mesurer la diffusion de la lumière selon les degrés d’intensité lumineuse qui entourent spatialement une seule et même source, en prenant la forme d’un quadrillage (15 degrés au total, dont 14 pour les torches, cf. schéma ci-dessus à droite : « T » correspond à la position d’une torche et les chiffres disposés sur les blocs voisins indiquent le degré d’intensité lumineuse émis par « T »). Définie par une distance de Manhattan plutôt qu’une distance euclidienne (en escalier plutôt qu’en ligne droite), cette répartition de la lumière est également déterminée par l’opacité des blocs placés sur son sillage : certains peuvent en affaiblir la portée (un bloc de verre), quand d’autres empêchent sa propagation (un bloc de terre). Une telle diffusion tend à réaffirmer la nature numérique de la lumière du jeu vidéo. Organisée mathématiquement, la gestion et la diffusion de cette lumière pixellisée dans Minecraft rappellent la rigidité structurelle du jeu (un système codifié, fait d’un ensemble de règles), comme sa grande malléabilité formelle (un bac-à-sable géant propice à la création de formes). En somme, les règles du jeu induites par le code y encouragent paradoxalement le joueur à investir et à reformer lui-même l’espace ludique avec l’aide de la lumière.