Une fois par mois durant l’été, focus sur une vidéo ou une chaîne glanée sur Internet.
La différence entre cinéma et jeu vidéo repose a priori sur une distinction évidente : un film se regarde quand un jeu vidéo se joue. Ce serait toutefois oublier qu’un jeu vidéo ne peut se jouer qu’à condition d’être vu et regardé par le joueur, toujours à moitié spectateur. Dans une moindre mesure, l’avènement du streaming de jeux vidéo sur Internet témoigne de cette primeur souterraine du regard sur une interactivité pourtant centrale dans l’art vidéoludique. Si l’on a pu évoquer dans ces colonnes la question du machinima, celle de la retransmission de parties se révèle tout aussi passionnante, en ce qu’elle offre un spectacle opérant la jonction entre les arts visuels du XXe siècle – le cinéma, la télévision et le jeu vidéo. C’est que jouer ne suffit plus : le gamer devenu streamer prend désormais la manette pour être regardé. Il est maintenant un animateur à part entière, tantôt humoriste, tantôt acteur, la main blessée après avoir frappé trop fort sur un meuble. C’est le cas des streamers les plus suivis, chez qui le jeu vidéo constitue une scène où la star occupe une partie de l’écran et monopolise la bande-son. Mais le joueur peut également devenir un performer et se démarquer par ses exploits comme le ferait un sportif d’exception. C’est le monde du e-sport ou du speedrun (exercice où le joueur tente de finir un jeu le plus vite possible) dans lequel le culte de la personnalité persiste toujours mais où il est plus souvent question de beau geste que de charisme (cf. ces retransmissions d’affrontements sur Super Smash Bros. Ultimate, de tool assisted speedrun sur Ghost ‘n Goblins, ou encore celles qui montrent un joueur finir Dark Souls III avec ses pieds). Une autre tendance, plus marginale mais sans doute plus intéressante, fait de la dimension spectatorielle du jeu vidéo le principe même de sa diffusion. On pense à ces nombreuses vidéos dans lesquelles on regarde des structures en train de se construire sur Minecraft. Absent de l’écran, le vidéaste se met en retrait, observe l’environnement ludique pour commenter ou non ce qui s’y trouve. Il est moins l’acteur du jeu et de son live stream qu’un spectateur parmi d’autres, dans une position analogue à celle de l’internaute qui pourtant ne joue pas. Un slowplay réalisé sur Breath of the Wild et Shadow of the Colossus livre un autre bel exemple de cette dynamique spectatorielle. En se donnant pour défi de traverser la carte en marchant, le vidéaste n’a d’autre choix que de contempler et d’analyser patiemment ce qui l’entoure, pour « regarder le temps s’écouler sans nous ». La pluie sur la végétation, un arbre foudroyé ou la démarche de Link attirent toute l’attention du guide/streamer comme de ses spectateurs. Qu’importe qui tient alors la manette : ce qui compte ici n’est plus vraiment l’acte de jouer, mais plutôt celui de voir purement et simplement le jeu s’offrir à notre regard.