Chaque semaine pendant le confinement, focus sur une vidéo ou une chaîne glanée sur Internet.
Il y a de quoi être un peu secoué à la découverte des livestreams de TheSushiDragon diffusés sur Twitch. Équipé de télécommandes, de batteries, de petites caméras et d’un monocle connecté, un jeune homme s’adresse à sa communauté à grand renfort de mèmes et d’incrustations montées en direct. Dans un sous-sol dont les murs ont été peints en vert, des dizaines d’écrans et plusieurs ordinateurs s’entremêlent dans un ensemble foutraque et bardé de câbles, où TheSushiDragon déambule entre deux grimaces et passages à vide. Ces intermèdes, parfois lunaires, sont l’occasion pour le vidéaste d’entretenir un lien étroit avec ses fans, en les remerciant de leurs dons qui s’affichent dans un coin de l’image ou en leur montrant l’envers bordélique de son installation. Sans même avoir atteint le cœur du show, il est déjà possible d’entrevoir la folie créatrice qui anime le surdoué. Plongé dans un long monologue, le jeune homme associe quelques images du bout de ses doigts, enchaîne les blagues, les rires en boîte et les effets visuels faits maison dans un capharnaüm d’interfaces et d’icônes, captivant une audience occupée à inonder le chat d’emojis à son effigie. De quoi patienter avant le clou du spectacle, où le streamer se livre à des chorégraphies psychédéliques sur des morceaux de musique proposés par ses abonnés (de la techno au trip-hop en passant par d’improbables remixes de tubes pop, tout y passe). À défaut de briller pour ses pas de danse, le jeune homme s’y affirme en artiste total : il monte, danse, joue, improvise et échange avec sa communauté, guidé par une énergie débordante et une créativité pour le moins décomplexée. On a là un monstre de polyvalence, qui touche à tout ce qui lui passe littéralement par la main : extraits d’événements e-sport, gifs d’anime, autres mèmes bien connus – le tout sans faire l’impasse sur l’invention formelle ou le bricolage. Le vidéaste fait ainsi l’étalage d’une remarquable maîtrise technique, mais ne cherche pour autant jamais à dissimuler les lacunes, les failles et les contours humoristiques d’une performance qu’il est le premier à tourner en dérision. Les bugs et les ratés font partie intégrante de cette débauche de faux décors instables et d’inserts approximatifs. Quant au making-of, il devient un spectacle comique à part entière, lorsqu’il juxtapose par exemple deux images de son studio dans un même plan, l’une avec effet et l’autre sans, ou lorsqu’il interrompt brutalement sa danse pour ajouter une entrée de plus à sa longue to-do-list sur l’un de ses ordinateurs. Assister à un live de TheSushiDragon revient en fait à suivre les expériences d’un savant fou du numérique, dont la frénésie finit toujours par être rattrapée par les limites du monde physique : celui où, piégé dans son enveloppe charnelle, il lui est difficile d’être à la fois devant et derrière la caméra, sur la scène et en régie, en action et au repos. Au four et au moulin de spectacles galvanisants pouvant parfois durer jusqu’à plus de 9 heures (!), il n’est donc pas rare de le voir s’écraser au sol, jouant de son épuisement, les veines de ses avant-bras gonflées par un effort qui, c’est certain, n’a rien de simulé.
