Deux fois par mois, focus sur une chaîne ou une vidéo glanée sur Internet.
On l’a déjà évoqué plusieurs fois, à l’occasion de la sortie de Once Upon a Time in… Hollywood, de The Irishman, ou d’une réflexion sur la vallée de l’étrange : avec les deepfakes et les acteurs virtuels, le cinéma numérique prend aujourd’hui des allures de grand bal masqué. Des expérimentations qui ne se limitent d’ailleurs pas au seul champ du cinéma industriel, mais qui prolifèrent aussi sur Internet, de façon encore plus troublante et dérangeante. Chaîne Youtube entièrement consacrée à cette nouvelle technologie, Ctrl Shift Face rejoue des scènes célèbres du cinéma américain en permutant le visage de différents acteurs : Jim Carrey s’infiltre dans Shining (film qui, après Ready Player One, inspire décidément bien des mutants), Al Pacino remplace De Niro dans Taxi Driver, Trump incarne le fantasque avocat Saul Goodman et Elon Musk est embarqué dans 2001. Au-delà de la blague et d’un éternel fantasme cinéphile (« et si untel jouait dans tel film ? »), la chaîne livre une réflexion sur les acteurs et leur image. Avec des split-screens comparatifs ou lors de lives spectaculaires dans lesquels il dévoile l’envers de ses opérations de faussaire, le vidéaste slovaque aux commandes de la chaîne prolonge le geste de films comme The Mask ou Avatar : faire apparaître un corps ou un visage impossible en vue de provoquer une sidération digne du cinéma des premiers temps (qu’on songe à L’Homme à la tête en caoutchouc de Méliès, exemple parmi d’autres de films primitifs jouant sur une forme inédite de contorsion). C’est alors autant le perfectionnement technique que la pertinence des scènes choisies qui impressionne. Le visage de Bruce Lee se voit par exemple plaqué sur celui de Keanu Reeves dans une scène de combat du premier Matrix – film qui racontait déjà, comme tout deepfake, l’entrelacement du réel et du virtuel autour d’un corps mi-homme, mi-machine. Les traits de Sigourney Weaver dans Alien : Resurrection se voient remplacés par ceux de la célébrité Caitlyn Jenner, déjà « refaite » par des opérations chirurgicales ici rejouées lors d’une séquence d’auscultation. Quant à Terminator 2, film précurseur dans l’histoire du cinéma numérique, c’est la scène où la machine apprend pour la première fois à sourire qui est choisie pour inscrire sur le visage du T-800 la figure d’enfant triste de Stallone. On notera enfin la justesse avec laquelle ces quelques deepfakes se nourrissent tous du jeu de personnalités et de comédiens hors-normes. Des corps cartoonesques de Carrey ou Lee au mutant Schwarzenegger, en passant par les réservoirs à mèmes que sont Trump, Cruise ou DiCaprio : il y aurait de quoi inaugurer une toute nouvelle politique des acteurs – numériques, cette fois-ci.