Une fois par mois durant l’été, focus sur une vidéo ou une chaîne glanée sur Internet.
Après deux opus sans réelle production audiovisuelle (aucun clip pour ye et le minimum pour Jesus is King), Kanye West revient à une forme plus traditionnelle de promotion avec un vidéoclip pour annoncer son prochain album, God’s Country. Réalisé par le plasticien Arthur Jafa, auteur d’une vidéo similaire pour 4:44 de Jay‑Z, le clip de Wash Us in the Blood annonce le retour en grande pompe du rappeur à une période mémorable de sa carrière : celle de Yeezus et de Black Skinhead, dont le clip reste à ce jour l’un des plus marquants avec celui de Welcome to Heartbreak, Fade ou de No Church in the Wild – trois vidéos dont on retrouve ici quelques traces, que ce soit le visage de Kanye défiguré par des effets numériques, les scènes de danse ou les manifestations sur fond de tensions raciales. Ce nouveau clip reprend donc le flambeau de Yeezus en proposant un mashup violent et chaotique, constitué d’images hétérogènes que le montage va réunir et juxtaposer au sein de différents split-screens. Le clip alterne entre la (très) basse définition du found footage et la HD de l’imagerie numérique, tandis que le format 16:09 laisse parfois place au cadre vertical d’images tournées sur téléphone portable. En un raccord, la vidéo peut passer de la « rue » au cosmos alors que les corps physiques, qui dansent ou s’affrontent à mains nues, renvoient aux avatars numériques du dernier GTA. Une telle dynamique de montage accouche de raccords souvent brillants, où différents motifs et mouvements sont prolongés d’une image à une autre en dépit des écarts plastiques et symboliques inhérents à un corpus aussi varié. À 2m07s, une fente en gros plan côtoie par exemple une scène où le célèbre rappeur, à la manière d’un Moïse des temps modernes, sépare la foule en deux lors d’un concert. Apparaît ensuite une mer numérique où les chaînes de l’esclavage ont remplacé une eau que l’on sait, depuis Waves et Water, importante dans l’œuvre de Mr. West – des chaînes qui renvoient au principe même du montage (en tant qu’enchaînement d’images) et que l’on retrouve dans les deux plans suivants (autour du cou d’un avatar dans GTA V et dans une éruption solaire qui en reproduit la courbure).

Un autre de ces enchaînements relie plus tard une drift party au titre du morceau, qui apparaît sur un cercle noir. Outre le logo du single, la trajectoire des voitures qui dérapent au milieu de la foule renvoie à la forme d’un disque de musique, motif déjà mis en avant sur les covers minimalistes de Yeezus et de Jesus is King. Brièvement filmée par un drone, depuis un point de vue surplombant où l’imagerie thermique transforme le plan en une composition en noir et blanc, la scène évoque aussi un conflit racial qui se répète et tourne en rond (rotondité introduite un peu plus tôt par un tore sur lequel était inscrit « My Black Death »). La célébration urbaine tourne alors au carambolage lorsqu’un pan de l’assemblée est renversé après un dérapage incontrôlé, métaphore d’un affrontement répété qui finit par menacer une partie du pays.

À l’instar de ces quelques exemples, les idées de raccords fusent et surgissent le temps d’une mesure pour unifier par le montage une somme de fragments hétérogènes. C’est qu’il s’agit au fond de figurer une division pour mieux réunir, de découper pour mieux coller, à l’heure où les États « Unis » affrontent à nouveau leurs vieux démons. En ce sens, les images coexistent dans l’espoir d’un rassemblement salvateur pour contrebalancer, symboliquement et visuellement, la scission d’un pays meurtri. Il en va de même sur la bande-son, où le rappeur parvient à tirer d’un ensemble cacophonique, allant des instruments variés au texte coécrit par une foule d’auteurs (onze au total !), une certaine cohésion. Voilà ce qui a sans doute le plus changé depuis Yeezus : outre l’usage du « I / Me » qui a peu à peu cédé sa place à celui du « We / Us » dans ses morceaux (ce dont ce nouveau titre témoigne), le rappeur semble prêt à faire corps avec ses proches et sa communauté, quitte à se mettre en retrait en partageant le cadre de son clip ou en restant hors-champ à la fin de la vidéo. C’est tout le principe du featuring, du gospel ou de la prière (voire d’une campagne présidentielle ?) que de rassembler plusieurs voix sous un même chant – une logique collective à propos de laquelle Wash Us in the Blood offre d’ailleurs une anecdote assez parlante : la grande star au casting de ce nouveau morceau, l’éminent Dr. Dre, se trouve du côté du mixage, soit la partie qui consiste à ajuster les différentes pistes sonores en vue d’atteindre un équilibre où chacune aurait sa place.