Toutes les deux semaines, focus sur une vidéo ou une chaîne glanée sur Internet.
Dans la vallée de l’étrange règne aujourd’hui une chaîne Youtube intitulée Cool 3D World, summum de bizarrerie et de malaise. Derrière la simplicité d’un nom ironiquement accrocheur se cache un atelier délirant, où les corps sont les cobayes d’expériences monstrueuses. Des figures hybrides y sont transformées et manipulées jusqu’à former des êtres hideux : hommes à la tête de rats, lilliputiens, végétaux anthropomorphes, gnomes et autres chimères composent un bestiaire digne d’un Max Ernst première période. Un héritage pictural qui ne s’arrête pas à celui du peintre surréaliste, convoquant d’autres visions de la même trempe. On y reconnaît les aberrations horrifiques de Louise Bourgeois, les rêveries de Dali, les réflexions de Magritte voire, pour sortir du champ des arts plastiques, les paradoxes de Lewis Carroll, dans un Pays des Merveilles franchement tordu – ou du moins plus tordu qu’il ne le serait déjà. Cool 3D World ne se limite pourtant pas à une seule transposition de l’art surréaliste ou du non-sens à l’heure digitale, mais, comme ses cousins cinématographiques (que l’on songe au Drôle de Noël de Scrooge ou au récent Cats), donne aussi matière à définir la condition du corps numérique, ses capacités et ses limites, que la chaîne tente de délimiter de vidéo en vidéo. Chaque court-métrage est ainsi l’occasion de mettre un corps à l’épreuve de son environnement immédiat, en vue de sonder la matière et le fond de ces nouveaux mutants. Dans Chefs, un cuisinier s’adonne au jeu du couteau jusqu’à percer la chair d’un de ses collègues pour en extraire le jus d’une soupe. Nails, quant à lui, met en scène une sorte d’ogre se tranchant les doigts à l’aide d’un coupe-ongle avant que n’émerge de son bras une matière instable qui finit par lui fendre le crâne. Enfin Pepper, petit chef-d’œuvre absurde de sept minutes, donne à voir l’intérieur d’un corps (avec des piments microscopiques envoyés par des esprits divins semblables aux Atokirina d’Avatar) grâce à la malléabilité de l’espace numérique, ouvert à différentes échelles et modulable par les personnages eux-mêmes. Une perspective laborantine également au centre de Spurt, l’une de leurs œuvres les plus riches, dans laquelle un arbuste puis un corps sont générés ex nihilo dans une étrange fabrique, avant qu’un être ne se torture lui-même en s’insérant un lézard dans le rectum en vue de se transformer en une entité hybride, mi-homme mi-insecte. À chaque fois, les corps s’adonnent à une joyeuse métamorphose, désirée plutôt que crainte, dans la lignée des Silly Symphonies de Walt Disney. La mutation n’y apparaît plus comme une horreur ou une torture innommable, mais comme une grande fête libertaire, orgie de figures et de formes nouvelles dont le numérique serait le terrain de jeu.