Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs cette année à Cannes, Les Bureaux de Dieu sont le troisième film de fiction de Claire Simon à sortir en salles. Comme dans certains de ses précédents opus, la cinéaste joue de la porosité entre documentaire et fiction. Une démarche des plus intéressantes.
Dans Les Bureaux de Dieu, vous avez filmé la parole, mais vous avez aussi filmé l’écoute. A partir de quand avez-vous voulu plutôt centrer le film sur l’écoute ?
C’est une question de mise en scène. Quand on assiste à un entretien, c’est très dur de ne pas regarder, de ne pas être pris par la personne qui parle ; mais j’ai cherché comment faire quelque chose cinématographiquement. La télé est faite de plateaux où l’on parle… j’avais l’impression que ça ne valait la peine de faire le film que s’il y avait du cinéma. Et la manière que j’ai trouvée pour qu’il y ait du cinéma, c’était de désynchroniser. Même si en réalité c’est synchrone, l’idée était de ne pas voir ce qu’on entend, de voir une histoire sur le visage de celui qui écoute, d’avoir du relief : regarder quelqu’un qui parle, c’est un peu plat. Pourtant j’ai fait un film sur quelqu’un qui parle, mais c’était dehors. On voyait deux films : il y avait d’une part le récit -ce qui était raconté, et d’autre part ce qu’on voyait visuellement. En fait je trouve que la parole est intéressante lorsqu’il y a une contrainte, ou un certain combat. D’ailleurs j’ai toujours filmé la parole dans la contrainte. Il y a très longtemps, j’ai fait un film sur un médecin qui s’appelle Les Patients ; or dans les entretiens, dans les consultations, la parole d’un médecin est toujours contrainte. Par la mort, par la loi, etc. Je trouve que la parole est très intéressante à filmer quand on arrive à rendre compte des conditions de son apparition ; sinon évidemment le sens prend le dessus, et alors autant écrire un texte.
On peut effectivement parler de l’histoire de telle ou telle jeune fille, mais il y a quelque chose qui échappe un peu, dont on ne pas parler : la réaction de celle qui écoute.
C’est quelque chose qui n’est que du cinéma.
Les dialogues semblent très écrits, ils sont souvent très justes, ou drôles…
Ce sont les paroles des gens. J’ai enlevé les « euh », les « ah », j’ai monté, j’ai beaucoup raccourci. J’ai monté, mais je n’ai pas écrit. « Un spermatozoïde ça nage », voilà une réplique que je ne saurais pas écrire ! (rires) Non, non ce sont effectivement les paroles des gens.
Comment avez vous fait vos choix, combien de temps avez vous passé à « aller voir » ?
J’y suis allée plein de fois, sans y passer forcément énormément de temps à chaque fois. Une semaine, deux semaines… Je faisais ça entre d’autres films. Comme c’était assez difficile à concevoir dans la méthode, je passais par des phases d’enthousiasme puis de dépression. Parfois j’oubliais le projet, puis tac je le reprenais en me disant : « oui, il faut que j’aille ailleurs, écouter, enregistrer… »
Vous y alliez toute seule ?
Oui.
Vous n’avez pas eu de regard extérieur pour construire le film ?
Une fois que j’ai eu collecté tout un tas d’observations et d’entretiens, j’ai travaillé avec deux de mes anciennes étudiantes, dont une de Paris 8 où elle avait fait son Master (ou son film) sur le planning de la rue Vivienne. Donc l’avantage était qu’elle connaissait bien le sujet, quant à moi je l’avais beaucoup aidé sur son film puisque j’étais sa tutrice. L’autre étudiante était une élève de la FEMIS (en scénario) avec qui je m’entendais bien, et que j’avais déjà fait travailler, à sa sortie de l’école, sur mon film précédent. On se lisait les entretiens et on réfléchissait beaucoup sur la manière de les monter. En fait c’était comme si on faisait le montage avant le tournage. Donc c’est vrai que c’était des rapports qui ressemblaient à des rapports de monteuse à réalisatrice. Si j’avais filmé un entretien en documentaire, j’aurais filmé 1 heure d’entretien pour en sortir un morceau de 7 ou 6 minutes. Nous avons fait ce travail-là sur le papier puis nous avons structuré l’ensemble du scénario, et j’ai écrit les scènes intermédiaires à partir des observations et des enquêtes que j’avais données à faire aux deux filles.
Les enquêtes ?
On a fait des grands entretiens avec les conseillères : comment se passait leur travail, ce qu’elles faisaient le matin avant d’arriver, comment elles vivaient leur travail…
Justement on a l’impression que ces conseillères n’ont pas d’histoire en dehors de ce qui se passe pendant les entretiens, et au sein du planning familial…
On sait que Nathalie Baye a une fille qui va accoucher, que Boujenah est grand-père lui aussi, on sait que Rachida va se marier, que Nicole Garcia est homosexuelle, que Marie Laforêt chante, et on se dit qu’Isabelle carré fait de la danse africaine et qu’elle est très obsessionnelle…J’ai essayé de prendre au sérieux le principe narratif que j’avais choisi, c’est à dire celui du lieu. Dans Entre les murs, on ne sait pas si Bégaudeau a une petite amie, ou des enfants ; il dit qu’il n’est pas homosexuel, et c’est tout ce qu’on sait. Je pense qu’il y a un principe narratif qui vient du documentaire, principe du lieu, et que ce principe narratif est très intéressant à utiliser en tant que tel. C’est comme dans un lieu de travail, on sait un peu qui est qui et comment les gens vivent mais on ne sait pas forcément comment vivent tous les occupants de ce lieu. Parce qu’un lieu de travail, c’est aussi un lieu où se construisent de nouvelles histoires entre les gens, dans la langue du lieu de travail.
C’est ce qui permet d’être entièrement concentré sur ce point. On ne passe pas trop de temps à se dire : « tiens, elle a une fille qui va se marier »…
Mais c’est plus secret.
Exactement.
Par exemple, quand vous voyez Le Petit Lieutenant, vous ne savez pas qu’il vote, le commissaire de police, sa grand mère, sa femme…
C’est ce que j’ai trouvé fort, cette absence d’informations, par rapport à tout ce qu’on apprend sur les jeunes filles, qui elles, forcément, racontent davantage. Par rapport à cela, les actrices professionnelles, qui sont d’habitude au centre, ici mettent en valeur quelqu’un d’autre. Comment ont-elles travaillé cet effacement par rapport aux jeunes filles ?
Eh bien elles mettent en scène l’entretien. Elles écoutent. Je suis pas sûre que ce soit un effacement. Elles sont comme ces actrices qui n’ont plus besoin d’avoir une histoire tellement elles sont assurées de leur place. C’est ça les professionnelles. Je veux dire que dans notre société, « professionnel » c’est ce qu’il y a de mieux. C’est une idée très valorisée ; on dit « tu n’es pas professionnel », ça veut dire que tu travailles mal, que tu fais mal les choses. Dans le culte people, on assiste à ça, de sorte que c’est un peu la fin des personnages, et des histoires ; les acteurs, les vedettes, existent par elles-mêmes. Ils n’ont plus besoin de rôle. Il y a quelque chose du documentaire qui les rattrape. Une des choses qui m’intéresse le plus, dans le film, c’est la question de l’authenticité. On veut toujours savoir avec qui couchent les actrices connues, et quelle est leur vie privée. Elles se donnent toujours à moitié au rôle, et elles ont toujours une part secrète, qui est leur vraie vie, et que les magazines people essaient absolument de dévoiler pour fabriquer des personnages qui seraient finalement comme si elles revenaient au documentaire. Ce qui m’intéresse dans le film, c’est justement le léger déplacement que je permets, pour les inconnues comme pour les connues : le jeu est très libérateur, par rapport justement à la question de l’authenticité, et je l’ai beaucoup pratiqué dans les films documentaires où la personne est la vraie personne. Dans des documentaires où l’on montre pendant 1h30 plusieurs facettes d’une personne, on ne peut pas montrer la totalité de cette personne. Mais les gens s’en rendent pas compte.
Du coup, ces actrices-là ne sont pas plus dans le jeu que les autres.
Non. Et en même temps, j’ai joué une fois dans un film de Marie-Claude Treilhou, et je me suis aperçue, en jouant (c’était en 2003), que ce qu’il y avait de plus difficile, c’était d’écouter. J’adorais jouer, ça me faisait rire, mais alors écouter, j’avais l’impression que je faisais ça très mal. J’ai pensé que les grandes actrices, c’était celles qui savaient écouter. Et qu’on ne le leur demandait jamais. On ne sait jamais comment filmer ça. Et ça devient souvent des plans qui sont fait à part, avec des espèces de clichés : on va faire trois ou quatre grimaces qui veulent dire « je n’en en pense pas moins », « ah bon », etc… Ces actrices sont réellement dans la scène. Et du coup je ne pouvais pas dire : « non, finalement ce n’est pas bon, on va mettre l’Italienne qui pleure plutôt qu’Isabelle Carré qui l’écoute ! »
Vous ne les aviez pas fait répéter… ?
Ensemble, non.
Et vous avez fait beaucoup de prises ?
Ça dépend des entretiens.
En revanche vous avez choisi les comédiennes non professionnelles en fonction des personnes qui avaient inspiré leur personnages.
Bien sûr, mais c’est valable des deux côtés. Pour les comédiennes professionnelles, le choix se faisait toujours pas rapport à une vraie conseillère. Ce sont des rôles comme dans un film de fiction, alors on peut croire qu’ils sont interchangeables, mais ce n’est pas vrai du tout. Parce que chacune a une langue, une manière de tirer les fils de l’entretien ; et de la même manière, les inconnues sont des personnages, chez qui j’ai essayé de retrouver quelque chose des personnes que j’avais vues.
Pendant les prises, est-ce que vous deviez réajuster pour que ce soit le plus proche possible de ce que vous aviez vu, vous, ou étiez-vous plutôt à l’écoute des nouvelles choses qui se passaient ?
Il est arrivé, dans les scènes de pures fictions, qu’il y ait eu un peu d’improvisation ; parfois à l’accueil, quand il y a beaucoup de monde, il y a une espèce de speed, et je devais recadrer Lolita ou Romain, ou celui qui a le bébé car il parlait des conseillères comme si s’il s’agissait de garagistes… Mais sinon je m’intéressais à ce qui se passait réellement entre les actrices. L’entretien que j’ai vu est devenu un texte auquel il a ensuite fallu redonner vie, tout en le gardant comme point de départ. Donc il y a eu comme une mort, qui est passée par le texte. J’ai plutôt énormément cherché, dans le casting, dans les costumes, pour retrouver quelque chose de la femme que j’avais vue. Mais une fois qu’elles étaient choisies et habillées, je cherchais juste la vérité de l’interprétation.
Par rapport au choix des histoires, vous avez retenu celles qui vous ont le plus émue, ou vous vouliez qu’il y ait un échantillon de plusieurs femmes ?
Ce qui pour moi était important, c’était de dire que ça concernait toutes les femmes, donc qu’il y ait plusieurs âges. Mon choix de départ, c’était l’ordinaire : la pilule, la pilule du lendemain… ; je n’allais pas du tout vers des choses plus spectaculaires. Au début, lorsque je suis allée au planning (fin 1999), il m’a semblé que par moments, les conseillères se sentaient en perte de vitesse par rapport à l’actualité, sur des sujets comme le sida, les violences, l’homophobie… Dit comme ça, ça a l’air méprisant… ce n’est pas méprisant, seulement je sentais qu’elles se disaient : « bon, ben tout ça c’est réglé ». Et chaque fois qu’on regardait la salle d’attente, elles étaient zen, peut-être par lassitude, ou plus simplement parce qu’elles avaient envie d’aller mener d’autres combats car les combats se renouvellent. Aujourd’hui, ça fait quarante ans que ces sujets sont discutés, jusque dans le cercle familial. Je me suis intéressée à ce qu’il y avait de plus banal, parce que je pensais que c’était là qu’on pourrait toucher à ce qui s’est passé depuis quarante ans. Qu’on pourrait voir comment les gens vivent. Il y a eu des documentaires, sur les violences faites aux femmes, sur les viols, sur le sida, etc., mais du coup, personne ne se demande précisément où on en est.
Et puis en ramenant tout aux mêmes problèmes, à des problèmes simples, vous amenez le spectateur à être vraiment attentif au personnage qui est concerné.
À ce qui est dit, aux mots.
À ce qui est dit, aux mots, aux visage… Alors que lorsqu’il s’agit d’une histoire hors du commun, ces détails essentiels passent effectivement plus inaperçus.
Je ne voulais pas d’histoires très spectaculaires, pour lesquelles on allait dire : « Oulala, la pauvre, quel cauchemar. » Je ne voulais surtout qu’on la plaigne à aucun moment.
La dernière histoire, celle de cette prostituée qui est enceinte trois fois du même homme, c’est quand même très émouvant.
Quelle belle histoire d’amour!
Oui. Mais c’est moins commun.
Oui, mais je peux vous dire que si l’entretien en question était extraordinaire, il était surtout extraordinaire de banalité. La conseillère a mis cinq minutes à comprendre ce qui se passait, et tout avait l’air si normal… j’étais estomaquée.
Et le rôle des tiers ? Il y a quelques consultations où la copine vient, ou même les parents. Dans l’échange, qui est quand même un échange à deux, qu’est-ce que la présence de ces tiers a changé? Comment avez-vous abordé les scènes où il y avait trois personnes ?
Je trouve ça assez joli, surtout les deux copines. Laquelle est la plus affranchie des deux ? Parfois, on se dit qu’il y en a une qui vient demander quelque chose mais que c’est l’autre en profite également. Elles se tiennent les coudes pour venir. Il y en a une qui parle d’elle, c’est son histoire, et l’autre grappille ce qu’elle peut. Celle qui est à côté apprend aussi quelque chose, comme celle qui est la copine ne qui dit pas un mot, et qu’on découvre tout d’un coup avec la jeune fille qui dit que sa mère la traite de pute. Ça me touchait ce côté « on y va ensemble ». Même la prostituée est venue aussi avec une copine. Et puis évidemment, dans l’histoire de la famille, c’était extraordinaire la mère qui restait toute seule. Qui ne regardait même pas… c’était dingue. Et le père et la fille qui sortent… L’intelligence du père était magnifique.
Comment les gens ont-ils réagi à votre présence pendant les vrais entretiens ?
Au planning, comme on le voit, il y a souvent de la double écoute. Donc je disais ce que je faisais. J’avais écrit des papiers disant que je préparais un film, que j’essayais d’accumuler des informations, des textes d’entretien, je donnais mon adresse, mon numéro de téléphone.
Avez-vous dû demander des autorisations pour les textes de ce qu’ils avaient dit ?
Mais je ne sais plus qui étaient les gens! Personne ne le sait.
Du coup, vous n’avez pas de retour de leur part sur le film ?
Non.
Puisque vous avez beaucoup écrit avant, soigné le rythme, ça n’a pas dû être très difficile à monter ?
Non. J’ai un super monteur, un jeune monteur, qui est aussi sorti de la FEMIS. Mais tout était fait d’avance, on a monté très vite en effet.
Le film traite des problèmes qui se posent dans un planning familial : la pilule, l’avortement, mais il touche aussi des problèmes plus généraux comme la Liberté, le Choix…
Oui, c’est surtout ça qui m’intéressait. Le planning familial je le soutiens, mais je n’irais pas jusqu’à faire un film pour le soutenir. J’ai eu l’impression que c’était vraiment la face cachée de la lune, de quelque chose de très important, c’est pour ça que je lui ai donné ce titre-là. C’est tellement important et tellement secret. En tournant le film j’ai eu l’impression que c’était vraiment comme soulever le voile de quelque chose qui concernait l’humanité, pas uniquement les femmes.
Pas uniquement les femmes, ni cette période-là, cette société-là.
Exactement.
Avez-vous eu des retours de spectatrices et de spectateurs ? Quelle différence de réception y a-t-il entre eux ? Que disent les hommes ?
Les hommes, ça dépend beaucoup de leur âge, s’ils ont plus ou moins de 50 ans. Les jeunes hommes sont souvent très touchés et très heureux de voir ça. Ils ont appris plein de trucs. Surtout, ils sont très touchés par cette intimité dont ils n’avaient pas idée et par ce que les femmes pensent, comment elles réfléchissent, comment elles se projettent. Pour autant, ils ne se mettent pas à penser comme les femmes, ils disent « ah oui, on ne pense pas pareil ». Ce qui est déjà pas mal. Il y a des hommes de plus de 50 ans qui aiment beaucoup aussi, mais d’autres que ça répugne, que ça ennuie. J’ai invité Luc Boltanski, un grand sociologue qui a écrit plusieurs livres importants, dont La Condition fœtale que j’ai beaucoup lu avant de tourner. Il traite de l’idée du fétus, de l’IVG, se demande si les fétus sont des humains ou pas, comment les femmes vivent, quand est-ce qu’elles décident d’avoir des enfants… Il parle du choix, toutes ces idées là dont parle aussi mon film. Et Boltanski m’a dit que ce livre qui lui avait demandé tant de temps et de travail, les hommes ne l’avaient pas lu, surtout ceux de plus de 50 ans qui sont profondément dégoûtés, pas tant par l’IVG que par l’engendrement. On a l’impression que la question des origines est une question qui terrifie les hommes, bien plus que la question de la mort.
Les hommes de plus de 50 ans ?
Oui, et c’est exactement une réflexion que je me suis faite depuis six mois. Globalement, le film est très bien reçu. Les gens sont très émus. Mais évidemment que les hommes ne voient pas le film comme les femmes. Enfin, il y a des femmes que ça ennuie aussi. Mais les jeunes filles ou les femmes mûres, globalement ça les intéresse. Il y en a plein qui pleurent en sortant.
Vous, comment avez vous vécu l’expérience de ce film ?
J’ai mis très longtemps à me décider, trouver comment le faire. Mais après ça a été très facile. On n’a pas eu des tonnes d’argent, mais j’ai travaillé avec quelqu’un que j’aime beaucoup, le producteur Richard Copans. Il a été merveilleux, présent tous les jours, complètement concerné par le cinéma, le travail à faire. Le tournage a été très heureux.
Combien de temps a-t-il duré ?
Cinq semaines. On s’est beaucoup amusés, on a eu du plaisir à tourner ça. Avec nos deux loges, nos deux escaliers pour qu’elles ne se rencontrent jamais.
Cette ambiance-là se ressent. Il y a d’un côté une grande gravité, de l’autre une respiration.
Oui, le casting a été passionnant. À chaque fois, on refabriquait les plannings familiaux. On avait un petit appartement pour faire le casting des non-professionnels et où on a fait aussi des essais avec des actrices, etc. Et au fond, on jouait au planning familial, on recevait des tas de filles et de femmes pour les différents rôles. Il y avait deux garçons qui travaillaient avec le directeur de casting. On était dans cette écoute des filles qui venaient. C’était super passionnant. Y compris quand on a tourné, on a aussi refabriqué un planning familial. Dans la façon dont on travaillait. Toutes les méthodes de travail faisaient que c’était joyeux. Forcément, ça se sent.
Où avez vous trouvé les comédiennes non professionnelles ?
Pour chaque personnage on est allé dans les lycées : en banlieue pour la jeune fille maghrébine, dans les écoles de commerce pour celle qui a le collier de perles, dans tous les lieux italiens pour l’Italienne… A chaque fois c’était selon le personnage.
Le casting vous permettait de vous mettre dans la position de cette écoute, de cette attention…
Voilà, c’est ça, on a expérimenté le travail de conseillères.
Et ça vous a aidée ensuite à mettre en scène ?
Oui. Et puis ensuite, j’ai joué toutes les conseillères, en répétition. Ce qui m’a beaucoup appris. Ce qui m’a énormément appris. J’ai compris que la conseillère était le metteur en scène. Ça a été ça mon implication.
Les questions des conseillères sont souvent tellement justes, précises, qu’on a vraiment l’impression qu’elles sont réécrites.
Celles que jouent Nathalie Baye et Nicole Garcia et celui que joue Michel Boujenah sont venus à Cannes. J’ai une admiration totale pour les trois mais avec peut-être, je ne devrais pas le dire, un petit faible pour celle qu’interprète Nicole, que j’ai trouvée extraordinaire dans la vie et comme conseillère. J’ai jamais vu quelqu’un faire ça. Et je disais toujours en en parlant à mon producteur et à des amis « mais c’est extraordinaire, elle tire les fils comme ça, l’air de rien, elle tire un fil et tout arrive, c’est incroyable ».
Ça se rapproche un peu d’une psychothérapie…
Oui, mais en même temps il n’y a pas l’idée « il faut que vous alliez mieux », etc. C’est plutôt le passage d’un idéal de règles sociales ou d’un idéal qu’on s’est donné à sa propre histoire. Elles sortent avec leur histoire. Enfin, quand elles ont le sentiment que c’est leur histoire, c’est un premier pas, je crois, vers la liberté. Le fait de se dire « ben c’est ça mon histoire », en tout cas « c’est un bout de mon histoire ». Plutôt que de se dire « j’ai eu tort, j’aurais dû, j’ai pas bien fait, qu’est-ce que je suis con »…
C’est là où il y a une sérénité aussi, dans l’acceptation, malgré l’angoisse du choix à faire.
Parce qu’il faut accepter de perdre. Dans un choix, il y a deux routes, il y en a une qu’on ne prend pas.