Pimpante et menue dans sa robe à pois, Eleonore Hendricks, actrice principale de The Pleasure of Being Robbed, m’accueille avec générosité au rez de chaussée d’un immeuble parisien. Le temps de me confier, en français, quelques souvenirs d’adolescence à Paris, voilà déjà Joshua Safdie à nos côtés dans la pièce, surgissant par la fenêtre…
The Pleasure of Being Robbed est votre premier long métrage. Comment est-il né ?
Joshua Safdie : Presque par accident. À l’origine, un ami, Andy Spade, est venu me voir avec une idée de court métrage.
Eleonore Hendricks : Il voulait développer ce projet dans le cadre de la société qu’il gérait à cette époque-là avec sa femme, et via laquelle ils avaient déjà produit plusieurs films.
Joshua Safdie : Notamment le film de Mike Mills…
Eleonore Hendricks : … Thumbsucker.
Joshua Safdie : En tout cas, il m’a fait part de son idée d’un film gravitant autour d’une voleuse d’identités. Au fil de ses rencontres, une fille se serait mise à s’inventer des identités, à se mettre dans la peau d’inconnus croisés, se prétendant journaliste un jour, détective privée le lendemain etc. Jusqu’au jour où elle se serait retrouvée de nouveau seule face à elle-même, mesurant à quel point elle se sentait perdue… J’ai donc commencé à prendre des notes autour de ce canevas. Entre temps, j’ai rencontré Eleonore sur le tournage d’un autre film. Elle s’occupait du casting. La rencontrer, découvrir sa personnalité et surtout la voir caster des gens dans la rue a vraiment été déterminant.
Eleonore Hendricks : À ce moment-là, j’étais en effet casteuse-photographe pour des films ou des magazines qui préféraient travailler avec des non-professionnels plutôt que des acteurs engagés par agences. Je marchais donc dans la rue à la recherche d’anonymes, les abordant de manière très rapide, et repartant avec un portrait de ceux qui avaient retenu mon attention. Or les photographier revenait un peu à leur voler un bout d’eux-mêmes, ce qui rejoignait l’idée initiale d’Andy.
Joshua Safdie : De mon côté, je me suis mis à réfléchir de façon plus générale au geste même du vol. Je me suis souvenu de tous les objets que j’avais volés moi-même dans ma vie, surtout adolescent, CDs, DVDs ou autres affaires appartenant à des amis… Je n’ai jamais été un vrai kleptomane bien sûr, mais j’ai toujours pensé qu’il y a une beauté dans le vol. À mes yeux, les voleurs font preuve d’un indéniable talent d’acteur. C’est une vraie performance. Dans le même ordre d’idée, être volé peut devenir une réelle aventure.
Et aussi un plaisir, puisque votre film s’intitule étrangement : Le plaisir d’être volé…
Joshua Safdie : Oui. Se faire voler peut être un vrai plaisir. Il y a quelque temps, je me suis fait voler ma voiture à New York. Comme les flics ne pouvaient pas vraiment m’aider, j’ai commencé à faire des recherches moi-même. Trois mois plus tard, j’ai fini par la retrouver à la frontière du Bronx. Le mec qui l’avait volé s’en était fait une maison, y dormait, et avait fini par s’approprier mes affaires. Il avait même utilisé mon journal intime pour y écrire ses propres pensées. Du coup je n’étais pas du tout en colère. Ce vol s’est transformé en expérience humaine.
Certes, dans ce genre de situations, le plaisir n’est pas forcément immédiat. Mais à partir du moment où un vol engendre une histoire qui ne demande qu’à être racontée, le plaisir est là. Je trouve ça également très touchant, fascinant, de pouvoir se souvenir d’un parfait inconnu toute sa vie suite à ce genre d’incidents. Comme si, gravées dans notre mémoire, elles nous subtilisaient sans le savoir une parcelle du cerveau. À partir de toutes ces idées sur le vol en tant qu’expérience humaine et geste compulsif, j’ai écrit un premier scénario de 30 à 40 pages.
Eleonore Hendricks : Du point de vue de mon personnage, le vol est un plaisir déguisé. Voler est un moyen pour Eleonore de se sentir connectée aux gens qui l’entourent. En surface, c’est un petit jeu qu’elle invente pour s’amuser. En réalité, au plus profond d’elle-même, ce n’est pas du tout plaisant. Ce qui la pousse à voler provient d’une part sombre d’elle-même, même si elle tente de trouver son bonheur à travers ce geste.
Joshua Safdie : Il y a aussi l’idée du plaisir à être amoureux. Quelque part, avoir le cœur brisé, c’est se le faire dérober. Mais finalement il vaut mieux aimer quelqu’un, que n’aimer personne du tout. Dans le cas de mon personnage, Josh, son cœur est volé par Eleonore. Même si elle lui donne peu de choses en retour, Josh conserve malgré tout ce petit quelque chose à l’intérieur de lui-même.
Vous pensiez incarner vous-même ce personnage dès le départ ?
Joshua Safdie : Oui. Il n’y avait pas d’autre option envisageable.
Pourquoi ce désir d’être à la fois devant et derrière le caméra ?
Joshua Safdie : Pour moi c’est beaucoup plus facile de réaliser un film de l’intérieur. C’est comme préférer le champ de bataille en temps de guerre. Refuser d’être en retrait pour prendre des décisions en temps réel. L’important est de faire corps avec le moment présent, d’être dans l’action. Cumuler ces deux rôles est très excitant. Changer les éléments d’une scène en y étant directement impliqué me convient beaucoup plus que de crier « Cut ! » de loin.
Nous croyons beaucoup avec mon chef opérateur en une caméra instinctive qui doit se mettre au diapason des émotions des personnages. Par le passé, j’ai malgré tout joué dans deux ou trois films où j’étais simplement acteur. Ce n’est vraiment pas la même chose. Je n’avais pas la même confiance que j’ai lorsque je joue dans mes propres films, ce qui ne m’a pas empêché d’être très nerveux pendant le tournage de The Pleasure…
Même si vos rôles sont fictifs, jusqu’à quel point votre jeu respectif laisse transparaitre des éléments de votre propre personnalité ?
Eleonore Hendricks : Bien sûr nos rôles relèvent de la fiction : je ne suis pas une voleuse, et je suis capable de conduire une voiture, enfin presque ! Beaucoup d’éléments sont inventés. Josh et Eleonore auraient pu s’appeler autrement. C’était tout simplement plus facile de conserver nos prénoms. Il y a tout de même beaucoup de nous dans ces deux personnages.
Joshua Safdie : Je crois en un certain cinéma, vecteur d’émotions vraies. Un outil introspectif en quelque sorte.
Eleonore Hendricks : Jouer un rôle sert toujours à s’exprimer, tout comme danser, chanter ou peindre.
Joshua Safdie : C’est donc tout à fait naturel de nous ressentir fortement derrière le visage de nos personnages. Nous jouons la comédie tout en projetant une profonde part de vérité personnelle.
Parmi les autres personnages, avez-vous choisi des acteurs non-professionnels ?
Joshua Safdie : Oui, tout à fait. En particulier le SDF du début. Un jour, Eleonore est tombée sur lui dans New York. Elle m’a ensuite parlé de ce type, qui se fait appeler Batman, très charmeur, bourré d’histoires incroyables.
Eleonore Hendricks : Il se dit prophète auto-proclamé ! Il a de toute évidence enduré beaucoup de choses dans sa vie. Non seulement il vit dans la rue, mais c’est un vétéran de la guerre du Viêt-Nam…
Joshua Safdie : Il joue d’ailleurs dans mon nouveau film sous ce rôle-là.
Eleonore Hendricks : Vraiment un homme atypique. Un SDF avec un téléphone portable ! (Rires). Il est sûrement un peu fou.
Joshua Safdie : Ce que joue Batman dans le film est tout de même en partie inventé. Je me suis en fait inspiré d’un autre type rencontré par hasard pendant la période de montage. Alors que je marchais dans la rue, un cycliste m’a lancé un « Bonjour, beau gosse ! ». Je l’ai remercié et, me retournant, je me suis aperçu qu’il gratifiait chaque passant croisé du même compliment ! Est-ce qu’il passait sa journée à traverser ainsi la ville dans le but d’illuminer la journée des New-Yorkais ? J’ai adoré l’idée d’un tel personnage se consacrant à rendre meilleur le quotidien des autres. Ce type de personnalité était aussi très synchrone avec celle d’Eleonore ; c’est pour cela que leurs chemins se croisent et qu’elle se montre intriguée par lui. Ça a d’ailleurs été une scène assez drôle à tourner. Vu la notoriété de notre homme dans le quartier où nous filmions, tout le monde l’interpellait sans cesse avec des « Hey, Batman ! ».
Eleonore Hendricks : C’est aussi lié à notre façon de filmer. Les passants que l’on voit à l’écran sont de vrais passants. En général, ils ne s’aperçoivent même pas qu’ils sont filmés. C’est aussi l’une des raisons qui expliquent l’aspect très réaliste du film.
Réaliste, voire documentaire parfois, non ?
Joshua Safdie : Même s’il s’agit d’une fiction, filmer est pour moi une expérience sociale. Ça me parait indispensable d’inscrire mes acteurs dans des situations réelles. Le scénario trouve sa voie en se confrontant à la vie. C’est exactement là que réside la beauté d’un film. Du moins à mes yeux. Ce qui compte à l’écran ce sont les fragments de réalité qui le traversent. Exactement comme dans cette scène du film de Jean Renoir, Boudu sauvé des eaux, où le personnage joué par Michel Simon erre au milieu d’une vraie foule avant de sauter dans le fleuve. Un moment de cinéma d’une grande influence sur mon travail.
Pourquoi se concentrer sur des personnes en marge de la société ?
Joshua Safdie : En marge ou pas, c’est tout simplement ce qui m’entoure personnellement.
Eleonore Hendricks : Le personnage d’Eleonore a en fait été inspiré par une amie à moi. Lorsque je la côtoyais, elle volait pour survivre : de la nourriture, mais aussi des vêtements. Elle pouvait d’ailleurs porter les mêmes habits des semaines durant. Mais elle ne le faisait pas pour être différente des autres. Par nécessité donc, mais également par générosité. Pas du tout le genre de fille centrée sur elle-même. Plutôt prête à dérober des choses assez onéreuses pour en faire cadeaux à des amis qui lui tenaient à cœur. Ses motivations restaient obscures cependant.
Tout comme dans le film.
Eléonore Hendricks : Oui, ce n’est pas expliqué clairement. Bien entendu, il est possible d’interpréter le comportement de mon personnage. Une explication plausible se situe du côté de la perte de l’innocence, l’enfance envolée… Même si quelque chose de concret lui est arrivé, ce n’est jamais clairement énoncé. C’est probablement mieux de ne pas savoir. De toute façon, c’est une histoire ouverte animé par une jeune fille intangible. Impossible de l’emprisonner dans un cadre figé.
Ce thème de l’innocence perdue imprègne tout particulièrement la scène du parc. Pouvez-vous nous parler plus en détails de ces plans en question ?
Joshua Safdie : C’est une scène centrale en effet. C’est même l’une des premières scènes que j’avais en tête. Un temps, le titre provisoire du film a été Swimming with Polar Bears. Juste avant cette scène, Eleonore est au plus bas. Bien qu’elle se soit rapprochée un instant de mon personnage, elle choisit de s’en éloigner. De retour à New York, une fois la voiture rendue, elle se retrouve chez elle. Une certaine tranquillité pourrait l’apaiser. Mais elle n’a rien à faire et ne peut même pas se protéger des bruits extérieurs. Elle veut alors fuir immédiatement son appartement. Direction le parc, les aires de jeux.
L’enfance est un thème important pour vous ?
Joshua Safdie : Oui. À un moment, au parc, on voit un petit garçon obligé d’obéir à son père pour les besoins d’un film de famille. Cette scène est très autobiographique. Mon père faisait tout le temps ce genre de choses avec mon frère et moi. Il nous filmait continuellement en nous disant ce qu’il voulait que l’on dise ou fasse. Même si nous étions à bout, en pleurs, il ne pouvait s’empêcher de continuer à filmer. Eleonore assiste donc à la scène. Autour d’elle, des pancartes interdisent aux adultes seuls de pénétrer dans ces aires de jeux. Ce détail n’apparaît pas à l’image mais nous l’avions en tête. Face à ces couples de parents et d’enfants, brutalement, Eleonore n’arrive plus à passer à l’acte. C’est un moment d’une grande tristesse. C’est aussi le moment où nous approchons au plus près du personnage. Dans un sens, Eleonore exprime là un profond embarras dans cette incapacité à se dévoiler au film et aux spectateurs. Incapable de se mettre à nu, elle préfère choisir l’extravagance. C’est pourquoi elle se réfugie dans son imaginaire et va rejoindre l’énorme ours polaire du zoo.
Eleonore Hendricks : Du fait même de sa domestication, cet animal lui semble proche…
Joshua Safdie : Dans son imagination, l’ours se transforme en simulacre. Ce n’est rien d’autre qu’un costume animé. Mais leur étreinte est belle et gênante à la fois. Combien de temps cela pourrait-il durer ? Qui voit-elle dans les yeux de cet ours ? Peut-être cette autre personne qui pourrait la porter vers le haut mais qui n’existera sans doute jamais.
Sur les plans physique et émotionnel, était-ce une scène éprouvante à jouer ?
Eleonore Hendricks : Ce jour-là, il faisait très froid. C’était en novembre. L’air était gelé. Des stalactites entourait même la chute d’eau par endroits. La veille au soir, j’avais très peur. Je n’arrivais pas à trouver le sommeil. J’étais particulièrement inquiète pour Sam (Lisenco, l’un des producteurs ; ndlr), l’ami qui allait prêter son corps à l’ours, et porter ce costume trempé et lourd. J’avais peur que quelque chose de dangereux arrive.
Eleonore Hendricks : Sur le moment, c’était finalement assez euphorisant à tourner, malgré le froid ! Pour mon personnage, ce saut est un signe de courage, un acte bienheureux. J’ai ressenti moi-même une grande dose d’adrénaline en le faisant.
Vous produisez vos films au sein du collectif artistique Red Bucket Films. Quelle est cette drôle de famille ?
Joshua Safdie : J’ai créé Red Bucket Films il y a plusieurs années avec mon frère Benny et l’un de mes meilleurs amis, Alex Kalman. Au lycée, nous étions toujours fourrés ensemble, à parler, fumer, dessiner, écrire ensemble, inventer les histoires les plus farfelues. Un jour Alex a débarqué tout excité. « Je sais comment on va s’appeler ! Red Bucket Films ! » J’ai tout de suite été partant. On en a presque fait dériver tout un langage secret, fiers d’être des « Bucketeers » ! Nous avions même mis sur pied une légende complètement bidon autour de noms donnés à des villages russes lors de l’instauration de l’Union Soviétique. Celui qui était censé nous avoir inspirés était le village de sombres idiots spécialisés dans la production de seaux alors que les villages avoisinant donnaient dans le marteau ou le poulet ! L’idée était de faire de cette intox un faux documentaire, mais ça ne s’est jamais fait. Toujours est-il que ça résume bien l’esprit qui nous lie tous.
Nous sommes une vraie tribu où les blagues, les éclats de rire, les jeux absurdes, et bien sûr les projets artistiques, fusent constamment, de jour comme de nuit. Nous passons la plupart de notre temps à observer le quotidien pour en faire des films, des sculptures, des peintures, et à se les montrer. L’un de nos projets récents, intitulé « Buttons », a par exemple la forme d’une immense mosaïque narrative faite de mini-sketchs filmés dans la rue par les uns et les autres à partir d’actes ou de gestes saisis sur le vif. Ce projet a déjà circulé dans plusieurs galeries, à Londres ou Vienne.
Mélanger les expressions artistiques est vraiment au cœur de notre démarche. Tout comme l’esprit de collaboration, d’entraide sur les films de chacun. La famille s’agrandit et continue d’évoluer. Eleonore nous a rejoints. Hier encore, Roger Van Voorhees, poète tragique bourgeois fauché, se rappelait à notre bon souvenir ! Un important projet de site internet est également en cours, une sorte de radiographie filmée de New York rue par rue…
Une version plus humaine de Google Earth disons ?
Joshua Safdie : Parfaite description !
Eleonore Hendricks : Cela peut faire penser également au travail réalisé en photographie à Paris par Eugène Atget, mais sur un mode très conscient, comme toujours à Red Bucket Films. Monter ce type de projet correspond aussi à un esprit de conservation, puisque New York est une ville de perpétuels changements.
Joshua Safdie : Un mouvement perpétuel qui caractérise à merveille notre collectif. Comme en ce moment, puisque la sortie de The Pleasure… coïncide avec la sélection par la Quinzaine de Go Get Some Rosemary, le second long métrage que j’ai co-écrit et co-réalisé avec mon frère Benny.
C’est assez incroyable d’être sélectionné deux années de suite à Cannes, non ?
Joshua Safdie : Je ne m’y attendais pas du tout ! J’étais très nerveux avant l’annonce de la sélection.
Eleonore, vous faite partie à nouveau de l’aventure ?
Eleonore Hendricks : Oui. J’incarne la petite amie du personnage principal. Un trentenaire divorcé, père de deux enfants, menant une vie assez chaotique. De par la séparation avec la mère, il ne peut voir ses gamins que deux semaines tous les six mois. Triste situation pour un père ; malheureusement commune aujourd’hui.
Joshua Safdie : La tristesse des divorces vient souvent de la propagande qu’infligent certaines mères et certains pères à leurs enfants contre leurs ex-conjoints. C’est notamment ce à quoi s’adonne l’ex-compagne de Lenny dans le film.
Eleonore Hendricks : Le film s’intéresse de près au point de vue du père et à la dure réalité d’une telle épreuve, que d’autres problèmes parasitent. Sa relation avec mon personnage s’avère boiteuse, entravée par la présence des enfants, mais pas seulement. Leur malaise est bien plus profond. Montrer les menaces qui peuvent parvenir à briser une famille est terriblement intéressant. Surtout lorsque le point de vue des cinéastes, Joshua et Benny, vient se confondre avec celui des deux enfants.
Qui incarne ce Lenny ?
Joshua Safdie : Il s’agit de Ronald Bronstein, le réalisateur de Frownland. Nous nous sommes rencontrés à la sortie de son film par le biais d’un programmateur. C’est le tout premier film auquel il participait en tant qu’acteur, et, selon ses dires, le dernier !
Eleonore Hendricks : C’est tellement un personnage dans la vraie vie, qu’il se devait d’être comédien ne serait-ce qu’une fois !
Joshua Safdie : Le fait que Ronnie soit lui-même réalisateur nous a empêchés de vouloir être trop directifs avec lui. D’un autre côté, à ce titre, il comprenait parfaitement ce que nous voulions de lui. Il a toutefois accepté d’entrer dans notre sensibilité, moins agressive que la sienne.
Eleonore Hendricks : Pour revenir à la tonalité documentaire perceptible dans The Pleasure of Being Robbed, on la retrouve dans ce nouveau film. Particulièrement à travers cette relation père-fils. A aucun moment on ne doute de la vraisemblance de ce triple portrait. Une vraie alchimie s’est créée, bien que Ronald ne soit pas encore père dans la vraie vie.
Pour finir, qu’en est-il de la musique utilisée dans vos films ?
Joshua Safdie : Dans The Pleasure…, nous avons utilisé beaucoup de chansons faites par de jeunes groupes underground new-yorkais, comme Haruki As Tiger ou The Beets. Des amis pour la plupart. Pour ce nouveau film Go Get Some Rosemary, l’atmosphère se devait d’être différente, plus mélancolique, plus en phase avec ce personnage de trentenaire déphasé. On y retrouvera néanmoins un titre des Beets. D’autres artistes y ont participé, comme David Sandholm, musicien fantastique et acteur. Il faisait partie du casting du film de Ronald. Nous avons aussi récupéré deux chansons libres de droits, comme cette chanson un peu cheesy mais chantée avec le cœur, « Oh Lord, Please forgive me now », enregistré par un homme dans son garage suite à la mort de sa femme par overdose.
Et pourquoi avoir choisi dans The Pleasure…, ce morceau de Monk plutôt qu’un autre ?
Joshua Safdie : Pour moi, Thelonious Monk est un poète, un virtuose. Sa technique de « flat flingering » est incomparable, son style, très novateur. La version de « Pannonica » utilisée pour le film est très rare ; on y entend Thelonious parler de la genèse de sa chanson en introduction. Pendant l’écriture du film, j’ai dû l’écouter des centaines de fois ! Si je l’ai choisi c’est qu’à première vue, ce morceau parait simple, alors qu’il s’avère très compliqué. Une cassure se fait entendre. Et cette rupture s’accordait parfaitement avec le film. Même si Monk était marié, il a dédié ce morceau incroyable à cette férue de jazz, mécène de Charlie Parker ou Bud Powell bien que descendante d’une famille d’aristocrates. Belle preuve de son amour pour elle.