À l’occasion de la sortie de son second long-métrage, Les Amours imaginaires, Xavier Dolan évoque son expérience de jeune réalisateur québécois et nous explique ce deuxième opus de ce qu’il appelle « la trilogie des amours impossibles ».
Après un premier long-métrage couronné de succès, est-ce qu’on se permet plus de choses ou au contraire on se méfie ?
Xavier Dolan : Non, je me suis même permis de faire un film complètement différent du premier pour justement désamorcer les attentes, pour essayer d’aller ailleurs. Le jour où j’aurai envie de me restreindre ou de plaire au public, ce ne sera pas pour me plaire, à moi. J’essaie d’être un peu égoïste dans ma façon de créer car, justement, en voulant créer un film pour plaire à tout le monde je perdrai en authenticité et en densité. Je n’ai pas envie de ça.
En 2009, J’ai tué ma mère vous a propulsé sur la scène internationale. Est-ce qu’après ce succès, vous avez eu le temps de prendre du recul ?
X.D. : Je pense que le recul par rapport à un film se fait assez rapidement. Pour J’ai tué ma mère, j’ai dû voir le film à peu près quarante fois, pour Les Amours imaginaires, comme j’ai participé au montage, je l’ai vu une soixantaine de fois. Le recul se fait donc assez rapidement. On acquiert une certaine distance par rapport à l’objet et on devient très critique de son travail.
Entre ces deux films, il y a eu un projet avorté. Avez-vous ressenti une frustration ?
X.D. : Une frustration, non. J’ai essayé juste de retomber sur mes pattes et de retrouver quelque chose d’autre pour éviter de devoir passer une année entière à ne rien faire et attendre que ce projet soit possible. Donc, dans l’urgence, j’ai écrit Les Amours imaginaires pour tourner avec Monia… pour pouvoir tourner un film, pour ne pas rester chez moi à stagner en fait.
C’est stagnation ou film ? Il n’y a pas de demi-mesure pour vous ?
X.D. : Non. C’est obligatoirement un projet. Moi je suis acteur et réalisateur. Personne ne me regarde en tant qu’acteur. Je n’ai pas de contrat, je suis la seule personne qui m’engage. Donc je n’ai pas le choix de tourner. Les gens m’ont mis cette étiquette de réalisateur et comme je joue dans mes films et pas dans d’autres, ils en déduisent qu’en dehors de mes films, je ne suis pas un acteur.
Par rapport au premier film, qui était très autobiographique, vous semblez moins vous exposer. Est-ce une volonté de votre part de donner davantage d’importance au personnage de Marie Camille notamment ? Est-ce que vous souhaiteriez rester derrière la caméra ?
X.D. : Non. Mon premier métier, ma première passion, c’est le jeu. Je ne pourrais pas rester derrière la caméra, au contraire. Je pourrais éventuellement jouer pour les autres. Je vais continuer à faire des films mais je pense que la priorité sera toujours de jouer. Ce n’est pas vraiment que je m’expose moins dans Les Amours imaginaires ou que le personnage de Marie Camille est plus important, c’est que son personnage est plus extraverti, plus dynamique ; le mien est en quelque sorte son ombre.
Lors de l’écriture des Amours imaginaires, pensiez-vous d’emblée à vous en tant qu’acteur ou est-ce seulement après l’écriture que vous vous vous êtes dit « Ce rôle-là, je le jouerais bien » ?
X.D. : Je l’écris pour le jouer. L’écriture était le prétexte pour que Monia, Niels [Schneider] et moi puissions jouer ensemble.
Ce second film affiche des partis-pris esthétiques très clairs, notamment dans les axes et les mouvements de caméra. Comment organisez-vous le tournage, étant à la fois devant et derrière la caméra ?
X.D. : Je n’organise pas le tournage. Moi j’ai à veiller à la réalisation. Je dois mettre en scène les choses. Je vais au découpage. Je dois savoir quel plan, quel angle. Moi je touche à la mise en scène. Un film est toujours un projet collectif.
Qui fait l’œil sur vous pendant que vous jouez ?
X.D. : C’est moi. Monia me donne quelques commentaires parce que c’est mon amie. Je lui demande son avis. Elle me conseille. D’ailleurs Monia est une actrice extrêmement critique d’elle-même, elle est perfectionniste. Elle cherche vraiment à donner au réalisateur ce qu’il veut. Parce qu’il y a des acteurs qui sont opprimés, qui ne peuvent pas travailler dans le stress, et qui démissionnent. J’en connais. J’ai expérimenté ce genre de déconvenues. Monia est vraiment quelqu’un qui va au bout des choses, qui suggère des propositions intéressantes, nourries de références et de son instinct. Elle est très instinctive et très naturelle.
Donc vous, Monia Chokri, avez joué un rôle dans la réalisation de ce film ?
Monia Chokri : Je suis toujours là parce que Xavier et moi sommes les meilleurs amis, non seulement dans la vie mais artistiquement. S’il me le demande, je lui donne des suggestions, puis parfois j’ai tort mais au final, c’est Xavier qui choisit. Comme pour la musique, le lui ai suggéré des choses mais c’est Xavier qui choisit. Il aurait pu prendre autre chose, mais je lui fais confiance. Mais je ne réalise pas. Il me demande, je suis là.
Est-ce que vous tournez beaucoup plus que vous ne gardez pour le montage ?
X.D. : Non, pas vraiment non, parce que comme on tourne à petit budget, on doit souvent épurer. On doit élaguer. Parfois sur le plateau, des décisions sont prises : cette scène cet après-midi doit être coupée pour pouvoir réaliser telle scène. Donc il y a une improvisation au niveau de l’épuration : par manque de temps ou d’argent, on pense qu’il va falloir couper des scènes et on le fait sur le plateau. Mais le scénario, à l’écriture, dicte la réalisation. J’ai souvent en tête la manière dont je vais réaliser la scène, la façon dont la caméra va être placée : c’est clair dès l’étape de l’écriture. Et maintenant que j’ai monté Les Amours imaginaires, j’ai écrit Laurence Anyways, qui est mon troisième film, non seulement pour le réaliser mais pour le monter aussi.
On apprend dans Les Amours imaginaires que le personnage que joue Monia a 25 ans. Par rapport à l’adolescent fougueux que vous mettiez en scène dans votre premier film, on pourrait dire qu’il y a un signe de maturité. Est-ce le cas ?
X.D. : Pour le premier film, je voulais faire un film sur les amours adolescents. Ici, je voulais faire un film sur l’amour jeune. Je suis jeune, Monia est jeune. J’ai dû me rajeunir un peu pour jouer dans J’ai tué ma mère puisque je l’ai joué quand j’avais 19 ans alors que dans le film, le personnage en a 16. Le prochain film met en scène des gens qui ont trente ans et quarante ans. Dans mon dernier film, je parlerai de centenaires, de vieillards.
Avec toujours le même thème.
X.D. : L’amour impossible.
Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce thème ?
X.D. : Pour faire du cinéma, il faut apprendre à être vrai. Et pour être vrai, je dois écouter un peu ce que j’ai vécu, ce qui est proche de moi puisque la fiction est un terrain encore glissant, audacieux pour moi. J’essaie de m’en tenir à ce que je connais, à ce que j’ai l’impression que je peux maîtriser en fait. Je parle des Amours imaginaires parce que c’est quelque chose que j’ai pu vivre, pas ce triangle en particulier, mais le rejet en amour, le béguin sans retour. Maintenant, je ne vous dis pas que pour le prochain film, c’est quelque chose que j’ai vécu, on passe à la fiction. Ce qui rend un thème intéressant, c’est ce qu’il peut distiller de vérité, dans la façon dont il fait rejoindre les gens. Pour l’instant, il n’est pas prévu que je fasse un film où des gens volent une banque, et s’achètent un yacht pour se rendre à la Barbade… Je ne saurais pas quoi écrire, je ne saurais pas quoi dire. J’aurais quelques idées, mais pour l’instant, j’ai envie de toucher les gens, de les faire rire. Peut-être que dans dix ans, j’aurai envie de m’éclater et de faire des choses différentes. Je n’ai pas envie de parler de zone de confort, parce que ça ferait paresseux, ce serait plutôt rester dans sa zone de sensibilité.
Votre film aurait pu recevoir à Cannes le nouveau prix qui récompense les films gays et lesbiens, la Queer Palm, qui a finalement été donnée à Gregg Araki, pour Kaboom. Qu’en pensez-vous ?
X.D. : Non, je ne l’ai pas vu. J’aimerais bien le voir. J’aime beaucoup Gregg Araki. J’adore Mysterious Skin. Je ne sais pas quand Kaboom va sortir à Montréal. Je vais peut-être en profiter pour le voir à Paris.
Vous allez beaucoup au cinéma ?
X.D. : Je vais beaucoup au cinéma dans mon salon parce que je considère que j’ai beaucoup de choses à rattraper. J’achète des DVD, j’en loue. Vraiment les films intéressants.
Qu’est-ce que vous rattrapez ?
X.D. : J’ai commencé à regarder des films quand j’avais 17 ans. À 16 ans j’en ai vu quelques un, mais à 17 ans, j’ai commencé à louer, louer, louer, voir des films, voir des films.
Comment choisissez-vous les films que vous regardez ?
X.D. : Parfois, quand je rentre chez moi tard, la durée a une importance cruciale ! Ran, à 22h30, c’est compliqué ! On commence par les classiques. C’est une culture, c’est une construction. On regarde. On loue Blow-Up, on regarde Blow-Up, on trouve que c’est un peu… Et puis après on en voit d’autres.
Est-ce que vous pensez que ça change votre façon de voir les choses ?
X.D. : Non, jamais. Ça correspond à mes goûts, ou ça ne l’est pas. Le goût ça se développe, mais, moi, mon réflexe, c’est de reprendre une scène, un cadrage intégral, ou un plan intégral, de façon isolée. Mais quand je vois des films, cela ne m’influence pas sur toute la mise en scène.
M. C. : On parle beaucoup de cinéma ensemble, mais quand on parle d’inspiration, c’est beaucoup plus de photographie, de peinture ou de littérature. Pour les films, ce serait plutôt des choses très techniques.
X.D. : Il y a une distinction entre influence et inspiration. L’inspiration, c’est transporter l’idée ailleurs et de la métamorphoser.
Comment sont perçus vos films au Québec, et au Canada en général ?
M.C. : Comme des films d’intellos.
X.D. : Comme des films d’intellos d’auteur.
M.C. : C’est vrai, il y a une très grande différence la manière dont sont perçus les films de Xavier en France et au Canada. Au Québec, Les Amours imaginaires est considéré comme un film d’intellos, pas fermé mais qui s’adresse à un certain public. Alors qu’ici, le public est un public pop, jeune, branché, léger, nouveau.
X.D. : Pour J’ai tué ma mère, les gens ne connaissaient pas : ils ne savaient pas s’ils aimaient ça ou « s’il existait ça. » C’est quand on regarde les blogs ou YouTube que l’on peut voir les critiques qui savent passer par où ça fait mal. La piqûre est toujours dure. C’est dur, surtout quand on sait qu’on se bat pour une identité, qui est l’identité québécoise. Mes films proposent un langage, une identité qui est propre au Québec : un environnement, une géographie, une langue qui appartient à un peuple, à un pays. Et quand on se bat pour ce pays-là, on a l’idée de pouvoir le représenter. C’est dur de se faire rejeter à l’intérieur même des frontières. Mais même le plus virulent des blogueurs ne pourra me faire croire que je ne suis pas cinéaste.
À la fin du film, Louis Garrel apparaît. Peut-être pourriez-vous nous en dire davantage sur le travail que vous envisagez de faire avec lui et comment vous l’avez rencontré ?
X.D. : Je l’ai rencontré il y a un an et demi, à mon premier Cannes, Cannes 2009. Louis est un être d’exception, un acteur français remarquable. Et quand je l’ai rencontré, je lui ai parlé de ce rôle que j’avais écrit en fait pour lui et qui s’appelle Laurence Anyways. L’histoire se passe dans les années 90 et traite d’une personne qui, lorsqu’il célèbre son trentième anniversaire, annonce à sa fiancée, au restaurant, qu’il va devenir une femme, qu’il va changer de sexe et il lui demande de l’accompagner, de le soutenir dans cette métamorphose : ce qu’elle accepte de faire, au prix de leur amour, ce qui n’est pas évident, et on assiste à la détérioration de leur amour, de leurs idéaux, de leurs espoirs. C’est une allégorie sur la différence, un film sur l’amour impossible et c’est le dernier opus de ma trilogie sur les amours impossibles. Les amours adolescents, que continuaient Les Amours imaginaires et que reprend Laurence Anyways avec l’amour impossible.