Après son adaptation d’Anna Karénine (Chouga), Omirbaev poursuit sa transposition dans le Kazakhstan moderne des classiques de la littérature russe : au tour de Dostoïevski avec Crime et châtiment. Le cinéaste n’en conserve que la substantifique moelle, un squelette taillé à la serpe en quatre-vingt-dix minutes chrono. Le résultat, sorte d’épure bressonienne s’en tenant aux plus essentielles puissances du cinématographe, est saisissant. Tout commence sur un tournage : un assistant renverse du thé sur la robe de l’actrice et se fait casser la gueule par les sbires de son mari, un infâme nouveau-riche qui déboule fissa en 4×4. Un étudiant en philosophie assiste à la scène. Que voit-il ? La percée, dans cette ex-république soviétique, d’un capitalisme sauvage qui dégueule ponctuellement sur les trottoirs son lot de vulgarité et d’arrogance. Envahi par les théories de darwinisme social qui circulent un peu partout, il conclut de commettre un acte contre tous les discours, pros ou antis, manifestation spontanée de sa condition miséreuse et de la confusion idéologique où tout le monde baigne : il flingue un épicier et une cliente qui passait là par hasard.
Omirbaev mène son récit sur un fil tendu du premier au dernier plan. Isolant les gestes, les actes, les trajets et les assemble en un flux à la fois limpide et imparable, où chaque coupe se mesure au strict nécessaire, où chaque son se distingue par une étonnante présence matérielle, le cinéaste kazakh tire un parti maximal des plus basiques outils de mise en scène : montage, changements d’axe, hors-champ, ellipses et quelques travellings, summum de son luxe. C’est vraiment un combat avec le matériau cinéma – le film est tourné en pellicule 35mm – pour atteindre au cœur de sa pureté expressive. Plus le film avance et plus il tourne au ballet élémentaire, où les objets circulent de main en main, billets de banque ou révolver – comment ne pas penser à L’Argent ou Pickpocket ? On pourrait facilement le taxer de simplisme, tant certaines de ses représentations du libéralisme ambiant se présentent frontalement, sans aucune réserve. Mais l’essentiel n’est pas là : si Omirbaev s’appuie sur la société kazakh, c’est moins pour en capter une image fidèle que pour en abstraire un enfer du partage qui touche à l’universel, à la condition humaine. En cela, The Student est l’un des films vus à Cannes cette année qui use au mieux de cette vieille lubie qu’on appelle mise en scène.