Premier long métrage de fiction de Rachid Djaïdani, Rengaine fait suite à plusieurs films documentaires réalisés par ce dernier depuis 2006. Avant cette date, Rachid Djaïdani semble avoir eu plusieurs vies, entre l’écriture de romans aux titres explosifs (Boomkoeur, 1999), ou une carrière de champion de boxe. Ce n’est donc pas un hasard si Rengaine a l’allure d’un ring en perpétuelle tension, entre les cordes duquel la caméra (fébrile) ne cesse de s’agiter tel un poing rageur. Une scène du film nous invite d’ailleurs littéralement sur le ring, puisque l’un des frères de Slimane, le personnage principal du film, est joueur de boxe. Maintenir coûte que coûte le rythme et savoir écouter sa propre musique : tel est ce que doit apprendre ce boxeur et telle est la profession de foi de Rachid Djaïdani. Rengaine en ressort animé de bout en bout d’une sorte d’urgence brouillonne qui fait écho à la fièvre qui contamine les personnages eux-mêmes.
En apprenant la rumeur du mariage de sa seule sœur, Slimane, « le grand frère », part en croisade contre l’inacceptable : comment lui et ses trente-neuf frères peuvent-ils accepter que Sabrina, jolie Maghrébine musulmane, épouse Dorcy, chrétien et acteur noir en devenir ? Pour eux, Sabrina devient l’irrespectueuse, la « risée de la famille ». Du côté de Dorcy, la tolérance n’est guère plus brillante, sa douce « mama » désirant pour belle-fille une Africaine noire et non une Algérienne « blanche » ! Volontiers chahuteur, Rachid Djaïdani n’y va pas de main morte lorsqu’il s’agit de traiter des thèmes qui lui tiennent à cœur. Si, à Paris, mixité et fraternité sont bien visibles aux terrasses des cafés, celles-ci ne seraient que coquilles vides. La France Black-Blanc-Beur a‑t-elle un jour existé ? Dans une scène crépusculaire, le film aborde également le thème encore tabou du rejet des homosexuels dans la communauté maghrébine. Traité de « pute » et renié une vie durant, l’un des trente-neuf frères de Slimane n’hésite pourtant pas à l’affronter en pointant du doigt son hypocrisie et sa lâcheté.
C’est indéniable : Rengaine balance de sacrées bombes et sort des sentiers battus, grâce à sa tchatche et à son énergie urbaine, à l’image du film-phénomène Donoma. Malheureusement, dans son ensemble, le propos dénonciateur de Rachid Djaïdani tourne en rond ; la rengaine devenant redite. À trop vouloir s’attaquer au racisme entre communautés (comme si, de surcroît, ce thème n’était jamais traité dans le cinéma français), Rachid Djaïdani oublie quelque peu de donner chair à son histoire, et notamment à la passion amoureuse à la base même de l’intrigue. Si Dorcy et Sabrina affirment s’aimer, aucune révélation amoureuse n’est véritablement donnée à voir, à ressentir. Leur lutte semble tiède. À l’inverse, on repense à l’attraction folle mais « interdite » qui liait le couple Laura/Djamel dans La Petite Jérusalem de Karin Albou… Enfin, cinématographiquement parlant, le film est parasité par un certain nombre de défauts. Constante et épileptique, la caméra portée fatigue prodigieusement. Et si la lumière manque cruellement, si les très (très) gros plans nous ont semblé abusifs, les intrigues secondaires donnent quant à elles au film un air plus amateur qu’indépendant… Faut-il à ce point délaisser la technique au nom d’un cinéma de l’urgence fait avec deux bouts de ficelle ?