Retour des zombies sur la Croisette, même si les morts-vivants de Mati Diop se révèlent toutefois nettement plus flegmatiques que ceux de Jarmusch. Tout commence ici comme une histoire d’amour impossible entre Souleiman et Ada, promise contre son gré à un autre. Le film creuse sa veine sociale en esquissant le portrait quasi-documentaire d’une jeunesse sénégalaise à travers ces deux personnages : Ada, résignée à la volonté parentale, doit préserver sa virginité pour son mari, alors que Souleiman, ouvrier que son patron n’a pas payé depuis plusieurs mois, décide de tenter sa chance sur une pirogue en direction de l’Espagne. Le départ du jeune homme, qui n’est jamais montré, figure en creux le point de bascule du récit. Les beaux plans sur la houle qui reviennent à plusieurs reprises laissent peu de doute quant à l’issue funeste de cette traversée, mais l’incertitude entretenue sur sa disparition (une amie d’Ada jure l’avoir vu le jour de son mariage) encourage à la fois la rébellion de la jeune femme et l’éclatement du récit.
À partir d’un incendie sans foyer sur le lit d’Ada, Mati Diop utilise l’image du feu inexpliqué pour installer la dimension policière et fantastique de son film, par le truchement d’un motif de contagion qui fait directement écho au cinéma de genre (la fièvre mystérieuse qui gagne certains personnages, les brûlures visibles et ces départs de feu récurrents). Sans en dévoiler la vraie nature, disons que l’apparition des revenants remet davantage en mémoire l’élégance de Tourneur que le gore fin de siècle, quitte, parfois, à égarer le spectateur dans une forme trop diluée ou allusive. Restent tout de même quelques plans horrifiques parfaitement réussis, comme celui où la caméra capte, depuis une ruelle sombre, le passage furtif d’une horde de zombies sur une avenue perpendiculaire éclairée de lampadaires blafards. Ou encore, lorsque le patron de Souleiman rentre chez lui et trouve, assises dans l’obscurité, une dizaine de jeunes femmes dont les yeux blancs scintillent dans la nuit. En continuant toutefois de jouer simultanément sur les tableaux policiers, sentimentaux et politiques, le film finit par tomber dans la sursignification, en contradiction avec son apparente évanescence. Si Atlantique ne livre toujours pas une variation totalement convaincante du cinéma de genre, il n’en reste pas moins jusqu’ici l’avatar cannois le plus intéressant d’une sélection hantée par les ombres imposantes de Carpenter et de Romero.