À ce jour l’un des plus beaux films de cette Quinzaine des Réalisateurs, le projection de La Légende du Roi Crabe suscite un certain enthousiasme qui appelle d’autres visionnages. Scindé en deux chapitres, le film d’Alessio Rigo de Righi et de Matteo Zoppis met en regard les paysages bucoliques de la campagne italienne et l’aridité du désert de la Terre de Feu, au Sud de l’Argentine. À la fin du XIXe siècle, Luciano, un ivrogne, tue par accident sa bien-aimée au cours d’une rébellion contre un prince local. Après cinq ans d’exil en compagnie d’une troupe de pirates, l’homme part à la recherche d’un trésor caché dans le désert, guidé dans son périple par une araignée de mer. L’argument du film et son dramatis personæ archétypal (un héros romantique et ténébreux, un prince despotique, une bande de pirates sanguinaires, etc.) évoquent à première vue l’univers du roman d’aventures, mais la mise en scène rapproche davantage la trajectoire de Luciano du récit épique – ce que les premières minutes mettent en évidence, lors d’une scène où une assemblée de vieillards chante et récite ses hauts faits. Être hors du commun, Luciano brave la mort (il ressuscite au premier tiers du film) grâce aux pouvoirs surnaturels d’une nature avec laquelle il vit en harmonie.
La Légende du Roi Crabe ambitionne d’embrasser la totalité du cosmos à travers une trajectoire individuelle, le héros se voyant successivement associé à l’eau, la terre et le feu. C’est plus précisément la relation amoureuse qu’il noue avec Etruria, sa promise, qui révèle l’union des éléments naturels, ce que synthétise une très belle rime visuelle lors de leur première apparition ensemble. Après que Luciano lui a offert une croix étrusque, la caméra s’attarde sur les reflets du soleil sur la mer qui reproduisent exactement la forme du bijou : en somme, l’association du feu (le soleil) et de l’eau (la mer) vient sceller l’union du couple. Durant sa première heure, le film développe l’idée que Luciano ne fait qu’un avec un décor de pastorale, dans des scènes somptueuses où l’homme se couche dans l’herbe, se baigne dans un ruisseau et disparaît dans une forêt de roseaux. En marge de cet envoûtant programme, le scénario ménage quelques confrontations entre le héros et les habitants du village où resplendit un sens de la composition inspiré de la peinture baroque (cf. l’entrevue entre le jeune homme et son père, éclairé comme du Georges de la Tour). Inversant son point de départ dans sa seconde partie (Luciano perd ses compagnons un à un, victimes d’une nature désormais hostile), le film réveille les fantômes du western à la Anthony Mann au cours d’une remarquable fusillade dans les montagnes, avant que Luciano ne termine son chemin de croix en extase, face à la réapparition de sa bien-aimée. Dans les plis de cette épopée se niche le magnifique portrait d’un homme en quête de rédemption.