Pauvre Benoit Poelvoorde. Ce devait pourtant être son festival, lui qui amorçait un grand virage auteuriste pour cette Mostra avec deux films en Compétition, tous deux signés par des cinéastes cotés et dont les derniers films avaient rencontré un large succès critique et une reconnaissance de leurs pairs (Grand Prix à Cannes pour Des hommes et des dieux, prix Delluc pour Les Adieux à la reine). S’il ne démérite pas dans ce rôle de quadra ballotté entre deux sœurs (Sylvie et Sophie, respectivement interprétées par Gainsbourg et Mastroianni), une fois encore Poelvoorde a parié sur le mauvais cheval. On a beau tenter de trouver trace ici ou là d’un souffle, d’une énergie transmise par le jeu des trois interprètes (Gainsbourg et Mastroianni s’en sortent elles aussi avec les honneurs, au regard du désastre), la nullité de la construction narrative (Benoît Jacquot a cosigné le scénario) brise les efforts hélas vains des acteurs.
Le plus navrant tient dans la façon dont le film ambitionne de dépeindre avec subtilité un enchevêtrement inextricable de sentiments amoureux. Jacquot n’a qu’une méthode pour parvenir à ses fins : la multiplication de motifs binaires, possédant chacun un pôle positif et négatif. Le film convoque ainsi une série de motifs (cigarette, briquet, miroir, petite phrase identifiable, mimique, etc.) qui sont amenés à trouver un écho plus tard, de façon si systématique que les coutures de la narration explosent au bout de vingt minutes. Pire, lorsque le film essaie d’incarner l’état mental d’un personnage, il recycle sans relâche la même idée. Sylvie est mal à l’aise d’être face à celui qu’elle aime mais qu’elle ne peut avoir ? Elle refuse toute marque d’affection de son neveu, fruit du mariage entre sa sœur et l’amant désiré, une, puis deux, puis trois, puis quatre fois. Marc découvre un à un des indices qui lui feront comprendre que Sylvie est la sœur de la femme dont il partage la vie ? Il allume une cigarette, à autant d’occasions, lui qui avait pourtant arrêté de fumer pour des raisons de santé – voilà d’ailleurs la grande trouvaille du film, exploitée jusqu’à la corde : l’analogie entre maladie cardiaque et peine de cœur !
Alors admettons, tout cela est digne d’un mauvais roman de gare, mais qu’en est-il de la mise en scène de Benoît Jacquot ? Eh bien c’est la Bérézina. Tamisé d’une lumière moins automnale que simplement grisâtre, le film est un audacieux mélange entre académisme pantouflard qui n’a de romanesque que le nom et petits touches pseudo-modernistes d’un ridicule achevé. Jacquot use de zooms et de violents travellings disséminés ici et là pour signifier l’émulation des passions, mais ces breloques sont bien trop calculées et exécutées à l’emporte-pièce pour susciter un quelconque émoi. Tout comme les saillies musicales, grotesques (Marc rate son rendez-vous avec Sylvie au début du film ? Retentit alors un « vrooom » évoquant la légèreté des compositions de Hans Zimmer pour les Batman de Nolan), ou d’autres coquetteries du meilleur effet – un lever de soleil pour évoquer la passion, un aberrant ralenti comme bouquet final, etc. Sans des acteurs écopant laborieusement ce navire troué, on tiendrait là le nanar festivalier de l’année.