C’est une scène située à la fin de Glass : alors que Kevin Wendell Crumb (James McAvoy) était sur le point de s’enfuir de l’hôpital psychiatrique où se déroulait la majeure partie du film, une main, celle de Casey (Anya Taylor-Joy), le retenait. Le dénouement spectaculaire promis par le récit restait lettre morte : en guise de feu d’artifice, Glass s’en tenait à un affrontement, certes impressionnant, mais réduit au périmètre d’un petit parking, loin de la Tour Osaka, qualifiée plus tôt ironiquement de « true marvel », vers laquelle s’élançait l’évadé. À l’inverse des Iron Man et consorts, les super-héros brisés de Shyamalan se voyaient ainsi privés d’un horizon glorieux, condamnés à périr loin des regards sur la froideur de l’asphalte. Mais il fallait peut-être aussi voir, dans les plis de ce parti pris audacieux, une manière pour Shyamalan de mettre en scène sa propre position, lui qui s’est cantonné, dans le sillage de quelques films injustement mal reçus (Le Dernier maître de l’air, After Earth), à une forme volontairement plus modeste. Comme ses personnages, Glass rompait ultimement ses chaînes et s’évadait de sa prison pour libérer un flux d’images sur les écrans de la gare de Philadelphie. Après ce film-là, le plus beau de son auteur en dix ans, on pouvait légitimement penser le cinéaste comme définitivement remis en selle, près à sortir du cadre du « petit film » qu’il s’était lui-même aménagé pour se « relancer », ne serait-ce que commercialement. Problème : Shyamalan semble, au contraire, ne pas être sorti du parking. Plus embêtant encore, il ne souhaite manifestement pas le quitter.
Si la tension entre un monde en vase clos et l’immensité de l’extérieur constitue le moteur de nombreux de ses films (Signes, Le Village, La Jeune fille et l’eau, le dernier tiers de Phénomènes, Split ou encore Old), elle semble depuis quelques temps accoucher d’une équation que l’on commence à connaître. Il s’agit d’articuler un cadre minimaliste (dans le cas présent, un chalet assailli par quatre mystérieux individus) et un horizon métaphysique autrement plus ambitieux (rien de moins que l’Apocalypse). Cette équation, admirablement exploitée par Split, innerve en principe la mise en scène : au même titre que la schizophrénie de Wendell Crumb (à chaque fois que s’ouvrait la porte du souterrain, une nouvelle identité pouvait potentiellement faire surface), la plage de Old et le chalet de Knock at the Cabin s’apparentent avant tout à des dispositifs ludiques à partir desquels se déploient l’écriture shyamalienne. Or, pour la première fois, on a l’impression que le « high concept » est surtout affaire de mécanique narrative. Le film n’est pas exempt de trouvailles, tel cet éclat lumineux dans lequel Andrew (Jonathan Groff) croit discerner une émanation divine, mais le découpage s’applique surtout à scinder l’espace en deux, pour redoubler le dilemme imposé aux personnages (sauver sa famille ou l’humanité ?), ou à allégoriser le décor (la petite bouteille dans laquelle la jeune Wen enferme des sauterelles pour les « étudier »). Knock at The Cabin présente de la sorte les atours d’un film de Shyamalan, mais dans une forme globalement trop en sous-régime : la fable sur la croyance est entrelardée de flashbacks qui, contrairement à ceux de Split, s’avèrent essentiellement dispensables et viennent trahir le cadre trop contraint d’un huis clos où les images spectaculaires sont encapsulées dans un écran de télévision ; ce même écran que les personnages de Glass cherchaient à tout prix à briser. On a beau reconnaître ici et là le metteur en scène hors pair que peut être Shyamalan, même les séquences les plus convaincantes restent en-deçà du niveau auquel il nous a habitués – exemplairement, l’introduction, temps fort qui accuse pourtant la comparaison avec l’ouverture de Split. On admire trop son cinéma pour se voiler la face, d’autant que Old était déjà un film en dents de scie : cette fois-ci, effectivement, il pourrait bien être en crise.