En 1967, Visconti replonge dans l’ambiance de l’Alger coloniale des années 1930, ainsi que dans le texte d’Albert Camus. Marcello Mastroianni ne convainc pas vraiment en meurtrier indifférent à tout.
C’est vingt-cinq ans après avoir été frappé par la lecture du roman d’Albert Camus que Luchino Visconti adapta finalement L’Étranger au cinéma. Entre l’écriture en 1935, et l’adaptation de 1967, le contexte politique de l’Algérie avait pour le moins changé. Le cinéaste italien a néanmoins opté pour la retranscription fidèle de l’œuvre littéraire.
Concernant le début le plus célèbre de l’histoire de la littérature, Visconti botte en touche, et repousse le fameux « Aujourd’hui, maman est morte » à la deuxième séquence. En flash-back, le film s’ouvre sur les menottes que porte Meursault au commissariat, après son arrestation. Les noms, prénoms et qualité de l’inculpé prononcés par un policier désignent d’emblée, avec une douce ironie, ce dont cet « homme sans qualités » cherche à s’échapper. L’« Homme absurde » dépeint par Camus est indifférent à tout ; il cherche à se soustraire à toute caractérisation, à toute assignation à une identité figée, à une place dans la société. L’homme est souvent filmé de dos, dans l’ombre, bord cadre. Rien ne lui est antipathique, pas même son maquereau de voisin ; ni sympathique, pas même l’amour que lui voue Marie (Anna Karina). Lors d’une balade du couple dans le port d’Alger, un mouvement d’appareil discret suit les jeunes gens, tandis que des passants qui s’intercalent entre la caméra et Meursault le dissimulent à notre regard, semblent l’avaler et le recracher par intermittence. Au fil des rencontres, Meursault dévoile en creux le portrait d’une société, et, dans les scènes de dialogue, son visage apparaît souvent indifférent aux flots de parole débité hors-champ. Visconti trouve là une belle manière cinématographique de traduire à quel point le personnage inventé par Camus a du mal à exister, combien il est ballotté par les événements. Mais pourquoi avoir choisi le charismatique et si séduisant Marcello Mastroianni pour jouer un être sans substance ? On imagine qu’Alain Delon, choix initial du cinéaste, n’aurait pas davantage convaincu.
La voix off à la première personne, les plans plus qu’explicites sur la sueur, le soleil renvoient avec lourdeur au texte de Camus. À l’exception du dernier plan, incroyablement éclairé par Giuseppe Rotunno, et où le visage de Mastroianni émerge d’un fond désespérément noir et vide, la deuxième partie du film avec ses scènes de procès, puis de prison, est interminable. Les zooms systématiques agacent. La critique fut assez sévère envers le film à sa sortie, et rapporta que ce ratage était sans doute dû à l’interventionnisme de la veuve de Camus, Francine. « Il semble que l’échec du film soit incontestable », pouvait-on lire dans la revue italienne Cineforum en octobre 1967. Plus lapidaire, la critique de France Soir se demandait, à l’instar du protagoniste du film : « À quoi bon ? »