Avec Sandra, Nuits blanches occupe une place à part dans la filmographie de Visconti. Bien que bénéficiant d’un casting plutôt alléchant (Marcello Mastroianni et Jean Marais en tête), ce film de 1957 tourné entre Senso et Rocco et ses frères, a été un échec public et critique cuisant. Beaucoup reprochèrent à Visconti d’avoir accompli une volte-face esthétique, d’avoir renoncé au néo-réalisme – courant auquel on le rattache à tort – pour réactiver les pouvoirs du réalisme poétique, symbole de cinéma bourgeois et esthétisant. Chez nous, Nuits blanches n’est d’abord sorti qu’en VF et les cinéphiles devront attendre le début des années 1990 pour découvrir le film en copie neuve dans sa langue d’origine. Œuvre inclassable et inconfortable qui joue sur le basculement des contraires, film méconnu et mésestimé, Nuits blanches gravite pourtant dans l’inconscient du septième Art en marquant l’imaginaire de nombreux réalisateurs. Mais n’est-ce pas tout simplement, parce que ce film, à commencer par son titre, nous parle avant tout des pouvoirs de la re-création et du cinéma ?
La fille sur le pont
Après l’échec financier de Senso qui provoqua la faillite de la Lux, Visconti et sa fidèle scénariste Suso Cecchi D’Amico cherchaient une histoire facile à tourner qui ne provoquerait pas les foudres de la censure. C’est dans cette optique qu’ils choisirent la nouvelle de Dostoïevski, Nuits blanches, qui inspirera d’ailleurs, quelques années après, d’autres cinéastes. (Robert Bresson en fera une adaptation dans les années 1970 Les Quatre Nuits d’un rêveur et James Gray une relecture made in Brooklyn dans le très beau Two Lovers).
Placée dans un hors temps qui oscille entre le rêve et la réalité, découpée en trois nuits et deux réveils dans une sordide pension ironiquement appelée « Aurora », la trame de Nuits blanches reste assez fidèle à la nouvelle d’origine. Mario (Marcello Mastroianni) est un promeneur solitaire, un marcheur qui, comme le « paysan » d’Aragon déambule dans les rues pour découvrir l’infinie profondeur du monde. Nouvellement arrivé, il vient de passer une soirée avec la famille de son patron et s’apprête à prolonger son errance dans les recoins de la ville. Marchant dans le sens contraire des passants sur la grande Rue Principale (réminiscence de la perspective Nevski), éconduit par des commerçants qui ferment boutique, Mario est déjà placé en marge de l’activité générale. Sa journée commence là où les mamas italiennes ferment les volets et que prostituées, voyous et chiens abandonnés s’apprêtent à faire surface. Ironiquement, Visconti installe dans ces premières images des vestiges du néoréalisme pour mieux les désamorcer ensuite. Car il suffit d’un fondu enchaîné, de quelques mesures du thème musical de la Nuit, pour que Mario et le spectateur soient transportés de l’autre côté du miroir. Magie d’un décor reconstitué à Cinecitta et des clairs-obscurs lunaires. Et voilà qu’apparaît Natalia, jeune fille fraîche et innocente prisonnière des jupes sa grand-mère qui la tient dans son atelier de tapis. Natalia s’enfuit toutes les nuits de chez elle pour attendre l’éternel retour du Locataire (Jean Marais) qui a vécu chez elle, parti on ne sait où et qui lui a promis fidélité comme dans les contes de fées. Face à la puissance de cet amant mystifié au point d’en devenir irréel, Mario essaie de s’imposer maladroitement. Et au moment où il pense enfin obtenir les faveurs de Natalia, son rival réapparaît.
Fidèle dans ses infidélités, Visconti se permet quelques réajustements, agrémentant le personnage de Mario d’un charisme et d’un pouvoir de séduction qui faisaient cruellement défauts au héros de la nouvelle. Il ajoute également une nouvelle figure, celle de la Prostituée, ombre brune et désenchantée auréolée de tout un imaginaire baudelairien. Réminiscence de la vamp de L’Aurore de Murnau, ce personnage est sans doute le plus beau et le plus émouvant du film. Interprétée par Clara Calamai, la Prostituée crée au passage des connexions souterraines avec la filmographie de Visconti puisque ce dernier dit avoir voulu redonner vie à la Giovanna des Amants diaboliques : « Quinze ans se sont passés, les choses ont mal tourné, après des années de prison, elle est retournée chez elle, elle est devenue prostituée. » Brune et femme fatale, elle devient alors le double nocturne de la blonde Natalia, cette belle de jour qui se rêve en belle de nuit mais dont l’idéalisme la préserve de connaître le même destin que la Nadia de Rocco et ses frères.
Nuits blanches en blanc et noir
Dès le générique où sur les différents thèmes musicaux composés par Nino Rota, des halos de lumière viennent dessiner des formes circulaires sur la succession de cartons, Visconti montre sa volonté d’écrire avec la lumière, d’inventer un nouveau langage en blanc et noir, de créer une esthétique de la Nuit Blanche. Car en transposant la nouvelle de Dostoïevski dans l’Italie d’après-guerre, Visconti ne garde de la nuit blanche que son sens métaphorique. En Russie, en effet, il s’agit d’un phénomène atmosphérique précis, ces instants avant l’été où le jour ne se couche pas. Du Saint-Pétersbourg du XIXe siècle, Visconti nous transporte donc à Livourne, petite ville portuaire archée de ponts et traversée de canaux ; de l’été à l’hiver ; des nuits blanches comme réalité climatique aux nuits blanches métaphoriques, oxymore indéniablement chargé de puissance poétique invitant au basculement voire à la rencontre des contraires.
Pour qui a vu Nuits blanches, le noir et blanc passe alors pour une évidence, un choix esthétique réfléchi et affirmé (comme ce sera le cas pour Rocco…) d’autant que Visconti s’était déjà confronté à la couleur dans le flamboyant Senso. Or on apprend qu’il n’en est rien et que Visconti s’est « accommodé » du noir et blanc avant tout pour des raisons économiques. En effet, le film financé par la société de production de Visconti, Suso Cecchi D’Amico et Marcello Mastroianni a été tourné avec très peu de moyens. Le but avoué était pour Visconti de prouver qu’il pouvait se contenter d’un budget modeste et pour Mastroianni de dynamiser sa carrière, lui qui, jusque là se trouvait trop souvent cantonné aux rôles de « chauffeurs de taxi ». Et pourtant, la photo, confiée au chef opérateur Giuseppe Rotunno, n’est pas sans rappeler les grandes heures de l’expressionnisme allemand ou du réalisme poétique français. Rotunno parlait d’ailleurs de « magie réaliste » pour qualifier l’atmosphère du film. Dans son gigantesque décor à la Trauner, Rotunno convoque toutes les sources lumineuses pour reconstruire l’espace. Les lumières de la ville (réverbères, enseignes aux néons, phares éblouissants des voitures) se poétisent et passent par le filtre des effets spéciaux naturels que sont la pluie, le vent, la brume (Rotunno a utilisé de grands morceaux de tulle pour créer cet aspect vaporeux) ou encore la neige. En mettant dans l’ombre les passants ou en délimitant l’espace, les lumières créent également l’espace de jeu pour Mario et Natalia, la scène sur laquelle ils vivent leur improbable histoire, hors du monde et hors du temps.
Comme un écho continuel au titre du film, la lumière est un personnage à part entière. Telle une instance démiurgique elle va jusqu’à guider les personnages. C’est notamment le cas dans le morceau de bravoure du film, la séquence du dancing. Après un combat de coq sous forme de numéro de rock acrobatique entre Dirk Sanders (danseur/chorégraphe star de cette époque) et Marcello Mastroianni, la piste de danse se tamise et l’euphorie collective laisse place aux rapprochements des corps. Un slow est lancé. Une poursuite lumineuse crée les couples et les invitent à rejoindre la piste. Mario et Natalia n’y échappent pas. Timidement, ils rejoignent le centre de l’arène, les mains se cherchent, les pas sont gauches et au milieu des autres visages amoureux ils découvrent que danser un slow est aussi simple que de marcher…
La nuit italienne
Il est difficile de parler de la nuit blanche sans penser à son double, la nuit américaine. Tout comme cette dernière évoque un procédé cinématographique qui consiste à créer artificiellement la nuit le jour, les personnages de Nuits blanches vivent leurs nuits comme s’il s’agissait de leurs jours dans un espace reconstruit en conséquence. Il n’est pas innocent que Truffaut ait justement choisi d’appeler La Nuit américaine, l’un de ses films qui montre le cinéma à l’œuvre et met à nu les artifices de la création. Nuits blanches est dans la même lignée. Chez Visconti, on trouve, en effet, cette propension à exhiber les artifices du cinéma, mais d’un cinéma revenu à ses origines primitives, un cinéma qui ne s’est pas encore affranchi du théâtre et qui s’auto-désigne comme re-création. On comprend que les critiques, venant tout juste d’intégrer le néo-réalisme vieux de dix ans, aient vécu ce retournement esthétique comme une véritable transgression. Après s’être nié, voilà que l’Art se montre sans pudeur et accentue ses effets en empruntant ses codes au théâtre, mot tabou pour certains critiques (rappelons-nous des mots ironiques de Bazin « Cachez ce théâtre que je ne saurais voir »). Dans ce drame en trois actes, tourné dans un décor de studio et joué principalement par deux personnages, il n’est d’ailleurs pas rare de voir la caméra placée au niveau du quatrième mur, autrement dit de prendre l’angle de vue d’un spectateur de théâtre. Mais rester sur cette impression serait renier que l’essence même de Nuits blanches se situe dans cette tension entre le vrai et le faux, le rêve et la réalité, la vie prosaïque de Mario et le monde idéaliste de Natalia. « Il faut que tout soit comme si c’était artificiel, faux. Mais quand on a l’impression que c’est faux, ça doit devenir comme si c’était vrai » était le mot d’ordre donné par Visconti à Rotunno.
Comme plus tard chez Demy où le Cherbourg coloré et musical sera la projection de l’univers mental de Geneviève, l’artificialité du décor est paradoxalement réaliste dans le sens où elle est en osmose avec l’espace intérieur de Natalia. Pour preuve, son histoire d’amour avec le Locataire qui commence par quelques romans de gare partagés avec sa grand-mère avant de se seller à l’opéra devant Le Barbier de Séville. Ce même Locataire qui relève plus de l’hypotypose racinienne que de l’être de chair et de sang. Le choix de Jean Marais pour incarner le beau ténébreux n’est pas innocent. Outre son charisme auréolé d’un lyrisme tragique, l’acteur véhicule une image de Star (donc objet de fantasme) et porte le mythe de Tristan et Yseult (le film L’Éternel Retour) dont son histoire avec Natalia récupère bon nombre de motifs.
Le Locataire n’est-il qu’une construction de l’esprit, un fantasme qui n’existe que pour la jeune fille et qu’elle construit au fur et à mesure de sa marche sur les ruines d’une ville d’après-guerre ? Visconti s’amuse de ces doutes. Dans la séquence du flash-back où Natalia raconte son histoire à Mario, il n’y a aucun cut. C’est un panoramique circulaire qui nous emmène de la rue où elle se trouve avec Mario à l’atelier de tapis, un an auparavant, lorsque le Locataire fait son apparition. Visconti exploite alors les possibilités offertes par la voix-off, jouant des décalages entre ce discours rapporté au temps présent, la musique délibérément mélodramatique et une image fantasmée où Natalia semble sortie d’un film expressionniste de l’âge du muet. Non sans ironie, il s’amuse également du contraste entre le romantisme de Natalia et les mauvaises intentions du Locataire qui promet des rêves d’amour éternel pour mieux mettre la jeune fille dans son lit. Pour Mario, il n’y a pas de doutes, Natalia est folle. Le final où Jean Marais refait surface lui donnera tort.
Le retour du Locataire signale en quelque sorte la victoire de l’imaginaire sur le réel. Le cinéma de Natalia a substitué à notre regard un monde qui s’accorde à ses désirs. De fait, en construisant Nuits blanches sur la tension qui résulte entre le rêve et la réalité, c’est bien la notion de réalisme que Visconti interroge. En prenant clairement ses distances avec le néoréalisme, il suggère aussi que le Nouveau Cinéma auquel il aspire doit beaucoup à la conception de Verdi qui disait « copier le vrai c’est peut-être une bonne chose, mais inventer le vrai, c’est mieux, c’est beaucoup mieux ». Dans ses nombreux ouvrages critiques sur Visconti, Youssef Ishaghpour rappelle qu’en 1957, à l’époque où le cinéaste tourne Nuits blanches, la révolte de Budapest et le manifeste des 101 ont eu lieu. Visconti n’a plus foi envers le communisme et ne voit plus non plus dans le peuple qu’il avait filmé dans La terre tremble la possibilité de la réactualisation du monde. Ce que la réalité objectif ne peut offrir, le cinéma peut le proposer. Le septième Art devient regard, il doit emboîter le pas du Voyant rimbaldien et ne pas hésiter à déconstruire le réel pour mieux le reconstruire, comme Natalia, selon un Idéal. Il est normal que Mario n’arrive à se rapprocher de la jeune femme, qu’une fois qu’il prend conscience de la force de l’imagination. Lui qui n’était alors qu’un rêveur du dimanche avec l’imaginaire « frémissant comme l’eau dans une casserole », connaît une véritable conversion qui l’autorise enfin à croire aux contes de fées. Il lui suffit d’imaginer la femme qu’il aime tout de blanc vêtu pour que soudain il se mette à neiger. Nuits blanches introduit un changement radical dans la poétique de Visconti où la vision remplace la reproduction. C’est une œuvre charnière qui s’accorde parfaitement à la temporalité de la nuit blanche, cet entre-deux fragile entre la tombée de la nuit et la levée du jour.
Une fin cruelle
À l’issue de Nuits blanches, le film semble avoir accompli le trajet suggéré par le titre : au petit matin, la neige est tombée et a recouvert le décor de sa douce lumière unifiante. Pourtant, cette aurore reste aussi énigmatique que l’aurore giralducienne. En effet, l’histoire se conclut comme un conte lumineux dans la blanche neige et pourtant le dénouement a vite fait d’être rattrapé par la tragédie. Le final de Nuits blanches, expression du renoncement à l’amour, est tout aussi cruel que celui de La Fièvre dans le sang d’Elia Kazan ou que celui des Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy. Simple doublure du Locataire aux yeux de Natalia, Mario n’aura eu droit qu’à un baiser avant de voir son oiseau de nuit retourner dans les bras de son homme Idéal. Mais dans un dernier retournement, Visconti laisse un doute sur qui de Mario ou de Natalia connaît la fin la plus cruelle. Si Mario peut se sentir lésé, il aura au moins été converti aux pouvoirs de l’Imagination et connu, comme il le dit lui-même, quelques instants de bonheur qui lui donne une histoire et lui laisse espérer un avenir. Contrairement au rêveur de Dostoïevski qui vivait quatre nuits blanches comme les quatre murs de la chambre, Mario n’a passé que trois nuits. Il est dans un mode dialectique qui lui offre l’ouverture et de multiples voies au-delà du mot « fin » qui apparaît lorsqu’il revient sur la grande Rue. Natalia, elle, met un point final à son histoire. Son avenir n’a comme au-delà que la formule topique des contes de fées « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ». Comme pour encore mieux accentuer cette idée, le Locataire réapparaît tout de noir vêtu, telle la statue du commandeur. De même, cette scène des retrouvailles est filmée en plongée tout comme le sera quelques années plus tard dans Mort à Venise, l’agonie de Aschenbach après avoir connu en pensées un moment d’extase avec le jeune Tadzio.
On retrouve ici, un motif récurrent dans l’œuvre du cinéaste autour de la notion de désir, de fantasme et de consommation de l’amour. Dans Nuits blanches comme dans d’autres films du cinéaste, le désir n’a de productivité que dans le fantasme. Dès qu’il est consommé, il devient stérile, générant la mort ou signifiant l’achèvement. Les baisers peuvent symboliser cette consommation. Tant que Natalia détourne la tête, aussi bien avec le Locataire qu’avec Mario, elle s’assure des riches potentialités d’un amour platonique. Quand le baiser devient effectif, il se transforme en baiser fatal, celui qui ramène à la réalité les rêveurs trop longtemps endormis. Mario se fait embrasser avant d’être quitté. Natalia se jette dans les bras du Locataire, elle l’embrasse. Mais ce dernier reste stoïque, ne la regarde pas et montre aucun signe d’émotion. Pour Jean-Claude Guiguet, cette conception du désir était l’illustration du désir homosexuel qui par nature n’est pas reproducteur ni fécond. D’où cette tension continuelle entre l’Eros et le Thanatos.
Sur l’écran noir des Nuits Blanches…
Fantaisie nocturne, Nuits blanches ne jouit pas du statut intimidant de chef‑d’œuvre. Il fait partie de ces films dits « mineurs » dont on ne pensait rien attendre au départ et qui finit par nous habiter pour longtemps. À l’image de son dénouement ouvert sur de multiples possibles, le film continue de vivre dans un au-delà qui le dépasse. Demy notamment (qui, en 1958, avait classé le film premier ex-aequo avec La Soif du Mal dans le top 10 des Cahiers du cinéma), lui rend un vibrant hommage dès son premier film Lola où le personnage d’Anouk Aimée attend également le retour de son bel amant parti aux Amériques. Les Parapluies de Cherbourg peut, de son côté, être vu comme le contrepoint négatif de Nuits blanches dans la mesure où Geneviève finit par renoncer à son amant parti faire la guerre d’Algérie pour épouser le bijoutier qui lui fait la cour. Un plan dans une loge d’opéra, une scène à deux dans un dancing, une fin enneigée sont autant de réminiscences du film de Visconti qui viennent nourrir cette œuvre enchantée. Pour Jean-Claude Guiguet, également, la découverte à 15 ans de Nuits blanches fut un moment essentiel dans son histoire de cinéphile et de futur cinéaste comme il le raconte dans Lueur secrète, carnets de notes d’un cinéaste.
Si ce film « mineur » a autant parlé aux cinéastes, c’est peut-être aussi que la « nuit blanche » est déjà une image. Une image de cinéma, une image du cinéma comme l’a chanté Nougaro. Le cinéma, c’est une salle obscure, un « parfum de salle en noir » (Michel Mesnil). C’est la nuit ; mais une nuit forcément blanche car illuminée par la lumière magique de la projection. Et dans la nuit blanche de la salle comme dans les nuits blanches de Mario et de Natalia, on retrouve ce même théâtre d’ombres et de lumières, cette même coexistence ambiguë entre deux mondes qui interfèrent, ce même trouble qui conduit à croire véritable ce que l’impalpable lumière vient dessiner sur l’écran blanc. Il serait sans doute excessif de dire que le film de Visconti peut être lu tout entier comme une métaphore du cinéma. Mais incontestablement Nuits blanches parle de cinéma, ne serait-ce que parce que Mario ne cesse de vouloir y emmener Natalia. De même dans leurs facultés à être un miroir du monde diurne et à proposer un jeu de basculement entre le vrai et le faux, le rêve et la réalité, les nuits blanches que vivent les personnages jouissent des mêmes particularités que l’image cinématographique, miroir des choses et miroir aux alouettes comme l’a montré Susanne Liandrat-Guigues. De fait quand Natalia se rend dans la chambre du Locataire en son absence, l’italien dit in camera sua. Or de camera sua à camera obscura il n’y a qu’un pas que franchit l’image en montrant Natalia s’engouffrer dans une masse d’ombre qui émane d’une chambre noire aux multiples miroirs.