Deux ans après Le Village, M. Night Shyamalan revient avec un conte moderne et politique qui explore le fantastique et le merveilleux. Loin des modes et de la surenchère numérique, Shyamalan continue à explorer ses obsessions, se permettant même de livrer une parabole utopique sur la condition humaine.
Avec son nouveau film, Shyamalan confirme qu’il est un des rares cinéastes américains à avoir un univers personnel et cohérent au sein des grandes majors. Il revient ici sur ses obsessions développé dans ses films précédents : la peur, le fantastique, le délire interprétatif des signes extérieurs proche de la paranoïa et la communauté, mais pourtant le discours qui le sous tend change radicalement. Ici, Cleveland Heep (Paul Giamatti, consacré par Sideways) est le concierge bègue et hanté par son passé d’un immeuble de la banlieue de Philadelphie où vit toute une communauté hétéroclite. Une nuit, une étrange nymphe – une narf – (Bryce Dallas Howard, éclatante dans Manderlay) est découverte dans la piscine de la résidence : le groupe tente alors une course contre la montre pour permettre à la créature de rejoindre le monde bleu.
Le réalisateur d’Incassable nous plonge ici dans la grande tradition du conte universel. Le récit que nous narre Shyamalan laisse résonner le poids du réel, dans un grand écart narratif entre merveilleux diffus et distanciation comique. Cette ambition tient car elle résulte d’une grande dimension romanesque et littéraire, qui confère au récit la valeur de prophétie ou – comme le dit l’un des personnages – de « prière ». C’est un « souhait », une pure utopie à laquelle nous convie Shyamalan, seul capable de rendre cohérent un ensemble d’éléments disparates grâce à l’originalité de sa mise en scène.
Ici, à aucun moment le merveilleux ne vient s’opposer schématiquement au réel. Bien au contraire, les deux s’épousent : le féerique a toujours été présent, invisible ou enfoui dans des traditions ancestrales, et ce sont les éléments les plus banals de la vie quotidienne qui nous permettent de le voir. Le travail sur l’image fourni par le chef opérateur Christopher Doyle (connu pour avoir travaillé avec Wong Kar Wai sur de nombreux films) est à ce titre exemplaire : le flou à l’intérieur du plan, le décadrage permettent l’introduction d’un univers magique par l’anamorphose de la réalité et la déformation du langage classique du cinéma. Le conte prend ses racines dans cet univers esthétique original. Car alors, c’est notre regard qui change, non pas le monde dont la fable fait partie intégrante. Les effets spéciaux suivent la même logique. Loin de la surenchère spectaculaire et du numérique à outrance, le principe même est de se fondre dans le décor. Les scrunts, sortes de loups couverts de pelouses, ont ainsi la faculté de s’aplatir à loisir et de pouvoir disparaître complètement dans le décor, leurs yeux n’apparaissant que dans le reflet d’un miroir. Shyamalan joue aussi admirablement de l’unité de temps et de lieu de son film. Elle donne une fluidité au récit que soutient la musique de James Newton Howard (déjà à l’œuvre dans Le Village). La musique finit par tout envahir, créant une unité de narration qui lui permet de gagner l’ampleur de la prophétie et du mythe.
Le discours du film est aussi d’une profondeur sans pareil dans le cinéma américain. Loin de dénoncer à tout va, de commenter jusqu’à l’écœurement les failles du système américain, Shyamalan propose une vision utopique de la société et du melting-pot. La Jeune Fille de l’eau peut alors être vu comme l’exact inverse du Village. Il en est la représentation positive de la communauté, celle qui montre que la société est encore possible malgré sa froideur apparente. Là où dans Le Village, les hommes se réunissaient autour du sentiment de peur, d’ignorance et de complot, en un groupe fermé sur lui même, La Jeune Fille de l’eau fait apparaître une communauté où chacun aurait sa place, sa valeur et un esprit ouvert aux expériences les plus folles. Car l’harmonie de cette association humaine tient dans son engagement, sa croyance à la prophétie de la narf. Mais loin d’être des fanatiques, les personnages de La Jeune Fille de l’eau pratiquent un humour absurde, ironique et poétique des plus réussis. Même la recherche de « signes » qui faisait se reclure dans une sorte de paranoïa les personnages de Signes trouve ici un écho comique, notamment dans les scènes d’oracle des boites de corn-flakes ou des mots croisés. Car si Shyamalan sait rire de son entreprise, il ne le fait jamais de ses personnages. Le cinéaste nous montre que d’un conte découlent des idées et la foi qui les accompagne ; tout parait alors encore possible pour fonder un monde meilleur. Chez le cinéaste, le chemin est autant personnel que collectif et la narf doit permettre à chacun de trouver sa place malgré ses conflits internes, à l’image de son couple principal qui se guérit l’un l’autre. Ne sombrant jamais dans le pathos indigeste ou au contraire dans le cynisme puéril, le film de Shyamalan est à l’image de son couple d’acteurs principaux : surprenant et bouleversant.