Une partie des courts métrages et autres expérimentations que David Lynch avait mis à disposition des membres de son site internet est désormais disponible en DVD.
Si vous avez eu la chance de pouvoir vous rendre à l’exposition des œuvres de David Lynch qui se tient actuellement (et ce jusqu’au 27 mai) à la Fondation Cartier à Paris, vous vous serez probablement installé dans la petite salle de projection (parfaite réplique du théâtre d’Eraserhead) située au sous-sol, afin de visionner quelques courts-métrages expérimentaux du cinéaste. Ces mêmes petits films, initialement diffusés sur son site internet, sont aujourd’hui regroupés sur le DVD Dynamic:01 The Best of davidlynch.com.
Comme c’était déjà le cas pour The Short Films of David Lynch, chaque court-métrage est précédé d’une courte introduction filmée de Lynch, qui revient sur l’idée d’origine et les conditions de tournage, en numérique, nouveau support qu’il a découvert pour l’occasion, et qu’il n’hésite pas à qualifier de « miraculeux ». Témoin de cet enthousiasme pour la vidéo, le réalisateur a même récemment participé à une opération publicitaire pour la marque Avid, dont il utilise les logiciels de montage : les internautes en ayant fait la demande sur le site de la marque se voyaient remettre un DVD promotionnel contenant un court-métrage inédit de Lynch accompagné d’un making-of.
Le numérique a donc définitivement bousculé les habitudes de tournage du cinéaste, lui qui ne jurait que par la pellicule il y a encore peu. C’est qu’en tournant avec une petite caméra DV, celui-ci n’est plus limité par le temps, et jouit d’une grande liberté, qui lui permet de laisser libre cours à ses idées, sans aucune contrainte financière. Lynch a par ailleurs choisi d’utiliser une caméra à moyenne définition (la Sony PD-150) dont les images de qualité médiocre lui font penser aux films des années 1930, dont les images contenaient des zones d’ombre, et qui laissaient ainsi au spectateur des espaces pour rêver.
L’intérêt de Dynamic:01, en plus de rendre visibles des films jusque là uniquement réservés aux membres du site du cinéaste (site payant, rappelons-le), est de proposer une collection cohérente, véritable condensé de l’univers lynchien, dont chaque court-métrage reflète un des aspects.
Industrial Soundscape est une petite symphonie industrielle, minimaliste et répétitive, une mise en boucle d’une dizaine de minutes, au cadre unique, celui d’un paysage industriel et sombre, qui rappelle ses photographies d’usines désaffectées. L’univers musical de Lynch tend vers deux extrêmes : d’un côté, des morceaux pop planants très influencés début 60’s, à la limite de la guimauve (voire ses compositions pour la chanteuse Julee Cruise), et d’un autre, des morceaux aux sons saturés et agressifs (ce que reflète son activité de musicien au sein du duo BlueBob).
Out Yonder témoigne du sens de l’humour si particulier du cinéaste, amoureux de l’absurde. Chaque épisode de cette mini-série hilarante se présente sous la forme d’un long plan-séquence immobile mettant en scène Lynch et son fils Austin dans les rôles de deux paysans coiffés de bonnets ridicules et aux voix trafiquées. L’épisode retenu ici, The Neighbor Boy, les voit confrontés à leur géant de voisin venu leur réclamer du lait.
Avec Lamp, qui pendant une demi-heure suit Lynch dans la construction d’une lampe, on le découvre designer. On le voit ici travailler le bois, un matériau qu’il apprécie particulièrement, et dont la plupart de ses films sont truffés (pour se faire une idée plus précise de ses créations, on se rendra sur ce site : www.casanostra.com/dl-index.htm).
Bug Crawls est une sorte de peinture en mouvement, montrant une maison isolée qu’un insecte escalade très lentement, tandis que des zeppelins en forme de poissons passent au loin, et nous rappelle qu’avant d’être cinéaste, Lynch est aussi un peintre, qui a cherché à introduire du son et du mouvement dans ses toiles.
Dans Boat, qui a lui seul justifie l’achat de ce DVD, Lynch crée subtilement une ambiance onirique, en combinant magnifiquement des images d’une extrême simplicité (un homme fait un tour en bateau sur un lac) avec une voix-off féminine planante. Le bateau est ici ce qui va permettre de basculer dans un autre univers : « we’re gonna try to go fast enough to go into the night » peut-on entendre dire le conducteur du bateau, joué par Lynch en personne, avant de murmurer « it worked ».
The Darkened Room donne un aperçu du côté ludique qui caractérise le site internet davidlynch.com. Avec la complicité de Etsuko Shikata, une sorte de jeu de piste au leitmotiv énigmatique (« where are the bananas ? ») était proposé aux membres, certains indices apparaissant au hasard d’un plan, ou au détour d’un puzzle à résoudre, menant de fil en aiguille à cette pièce sombre, avant-goût assez troublant de ce que sera plus tard INLAND EMPIRE.
Enfin, la rubrique Questions permet de retrouver quelques unes des réponses aux questions envoyées par les membres. En vrac, Lynch évoque ici sa rencontre avec Roy Orbison (dont on entend In Dreams dans Blue Velvet, et une version espagnole de Crying dans Mulholland Drive), et son rapport au café, dont il est un grand consommateur et qu’il commercialise depuis peu sous la marque « David Lynch Signature Cup ».
Comme son titre l’indique, Dynamic:01 est un « best of » (c’est aussi probablement le premier volume d’une collection), et ne contient qu’une partie de ce que Lynch a pu produire pour son site. Il manque notamment la série Rabbits (huit épisodes d’environ cinq minutes chacun) qui mettait en scène trois personnages portant des masques de lapin, filmés dans un living-room aux allures inquiétantes, et qu’on a depuis croisés dans INLAND EMPIRE (et qu’on devrait logiquement retrouver dans les suppléments de l’édition DVD du film, prévue pour le mois d’août prochain).
La jaquette de Dynamic:01 est d’une sobriété déconcertante, et ne donne aucune indication sur le programme qu’elle contient, que ce soit à propos de la zone (il s’agit en fait d’un region-free DVD, susceptible d’être lu par tous les lecteurs), de la durée (environ deux heures), ou des spécificités techniques (image plein cadre, et son Dolby Surround 2.0).
Ce DVD est distribué par Subversive Cinema, un éditeur spécialisé dans les sorties « bis », dont le catalogue explore des genres aussi variées que l’heroic fantasy (avec Hundra, sorte de Conan au féminin), la comédie musicale (Alice au pays des merveilles, pas la version Disney, mais bien celle avec la playmate Kristine DeBell), ou le gore (Battlefield Baseball, produit par Ryuhei Kitamura, le réalisateur de Versus), bref, du pain béni pour tout amateur de cinéma d’exploitation digne de ce nom. Au rayon Lynch, Subversive Cinema propose également les DVD suivants, précédemment vendus exclusivement sur davidlynch.com : The Short Films of David Lynch, Eraserhead (la magnifique version remastérisée), et Dumbland (la mini-série animée).