Méconnu et resté très peu visible durant de nombreuses années, le second film américain de Douglas Sirk est pourtant un véritable bijou, désormais disponible en DVD grâce à Sidonis. Adapté de Tchekhov et réunissant le magnifique duo George Sanders / Linda Darnell, L’Aveu est une troublante variation mélancolique sur le sentiment de perte, probablement nourrie par l’exil forcé du réalisateur.
Mis sous pression par le IIIe Reich, Douglas Sirk fuit en 1937 son Allemagne natale, quittant sa femme et laissant son fils unique embrigadé dans les Jeunesses hitlériennes. La douleur que lui inspire cette rupture forcée et la perte de son enfant sur le front russe quelques années plus tard est au centre de l’un de ses plus grands films, Le Temps d’aimer et le temps de mourir, sorti en 1958. Pourtant, bien avant cette bouleversante allégorie sur la condition humaine parcourue de bonheurs éphémères, le réalisateur exilé s’est déjà nourri de cette expérience pour faire son entrée dans la grande messe hollywoodienne. En 1943, alors que le conflit mondial bat son plein, Hitler’s Madman revient sur le massacre d’un village par les nazis. L’année suivante, avec L’Aveu, la référence est immédiatement moins historique. Néanmoins, en choisissant d’adapter Tchekhov, Sirk fait un troublant parallèle entre la révolution bolchévique de 1917, qui mit brutalement fin à une ère, et les tourments amenés par la Seconde guerre mondiale. Sans non plus tomber dans un anticommunisme qui fera légion à Hollywood quelques années plus tard, L’Aveu restitue parfaitement cet état de mélancolie qui succède à la perte de l’objet aimé, convoquant ambiance cotonneuse et images surannées.
Tout commence par la rencontre inattendue entre le Comte Volsky et Nadena Kalenin : le premier a sombré dans le dénuement depuis que la révolution bolchévique lui a confisqué ses biens et retiré ses avantages ; la seconde est devenue éditrice pour subvenir à ses besoins pour des raisons à peu près équivalentes. Tous deux ont été indirectement impliqués dans une passion amoureuse incandescente entre Fedor Mikhailovich Petroff (George Sanders), un juge d’instruction reconnu, et Olga Kuzminichn (Linda Darnell), jeune fille de paysan dont la grande beauté n’a eu d’égal que son arrivisme froid et calculateur. De cette liaison qui a causé sa perte, Fedor en a écrit un journal où il relate avec une douce amertume les étapes de cette lente descente aux enfers. Cet ouvrage intime, Volsky décide de le confier à Nadena dans le but de le faire éditer et de gagner ainsi un peu d’argent. Seulement, Nadena, ex-fiancée de Fedor, découvre en le lisant tout un pan de l’histoire de son ex-compagnon, ravagé par la passion au point d’avoir enfreint la loi. Ce manuscrit, qui rappelle la dimension littéraire du projet, est une porte d’entrée vers un passé idéalisé. La voix off de Sanders, posée, presque atone, rend immédiatement compte du décalage cruel entre un présent bouleversé et un passé regretté. Car la question qui parcourt L’Aveu est bien celle du libre arbritre, celle qui a conduit chacun à faire un choix plutôt qu’un autre. En dépit des événements historiques, certains s’en sont sortis (Nadena et son pragmatisme de femme blessée), d’autres pas (Volsky, Fedor, prisonniers du démon de la chair).
Reprenant à son compte la dimension faustienne très présente dans la littérature russe, Douglas Sirk réussit, pour son second film à Hollywood, à ne pas en reproduire les tics de la reconstitution en costumes. Bien que réalisé en studio et interprété par des acteurs anglais ou américains, L’Aveu sait tirer parti du factice pour faire d’une image d’Épinal (celle de la Russie de la Belle époque) un petit théâtre des faiblesses humaines. Jetée en pâture au milieu des hommes qui la désirent, Olga attise les bas instincts pour s’extirper de son milieu. Et tant pis si le réalisme n’est pas de mise lorsque Sirk fait de cette paysanne une jeune parvenue aux traits délicats, trop à l’aise parmi les gens de la haute société. Ce qui intéresse avant tout le réalisateur, c’est de jouer sur l’opposition de deux mondes qui ne se donnent jamais la possibilité de cohabiter autre part que sur l’oreiller. La sexualité, très présente en filigrane, trouve en Linda Darnell (qui excellera trois ans plus tard dans un rôle similaire, Ambre d’Otto Preminger) une incarnation qui profite à toutes sortes de transgressions mettant en péril l’équilibre d’un système russe basée sur la lutte des classes. Cette porosité des milieux amène Fedor à payer le prix fort de sa faiblesse et fait de cet homme déchu le parfait symbole d’un système révolu qui n’a pas voulu voir le danger auquel son arrogance l’exposait.