Le temps des remous concernant le passage de témoin à la direction du festival laisse désormais la place au cinéma, et c’est bien heureux. Avec la projection de pas moins de 180 films du 5 au 17 mars, le programme sera des plus copieux. Dans un geste très « patagéographique » peut-être pas étranger aux ascendants belges du nouveau directeur artistique Javier Packer-Comyn, cette programmation est cartographiée dans un très beau dépliant qui tente de définir les territoires cinématographiques de cette édition 2009. S’y dessine un visage. Celui du réel?
Les compétitions
2500, c’est environ le nombre de films visionnés ; le travail de sélection fut donc titanesque. Tout en s’ouvrant évidemment à la diversité des propositions, quelques critères, aussi éthiques qu’esthétiques, ont présidé à ce choix. Javier Packer-Comyn insiste beaucoup sur le fait qu’il s’agit de métrages « filmés à hauteur d’homme », en l’occurrence « des êtres debout » et dignes. Il entend par là gommer les malentendus liés à des visions misérabilistes, condescendantes ou exotiques. Aussi, le reportage factuel n’a pas droit de cité au Cinéma du Réel, l’attention s’est ainsi focalisée sur la qualité du regard et de l’écriture cinématographiques. Pour résumer cet état d’esprit, il suffit de pointer la présence de Wang Bing avec L’Argent du charbon en tête d’affiche de la compétition internationale.
Si trois films français (Le Battement d’ailes d’un papillon d’Alexandre Balagura, Rachel de Simone Bitton et Le Marcheur de Jean-Noël Cristiani) figurent dans cette compétition internationale, il est à remarquer que la sélection spécifiquement française a été élargie cette année à 18 films. Il s’agit là d’une volonté délibérée d’offrir au regard des œuvres, bien souvent des premiers films, pleines de richesse même si elles s’avèrent parfois fragiles ou incertaines. Comme une mise en abyme des difficultés économiques du cinéma documentaire en France (et ailleurs), Autoproduction de Virgil Vernier suit les péripéties du tournage d’un long métrage désargenté.
Il est difficile de dresser une géographie de la compétition internationale composée de 37 films. Comme pour bon nombre de festivals, un constat et un regret s’imposent en premier lieu : la sélection ne compte aucun film d’Afrique subsaharienne (et La Chine est encore loin de Malek Bensmaïl, venu d’Algérie, est le seul du continent africain), regret partagé par le directeur artistique. On note de nombreux regards, américains et étrangers, sur les États-Unis qui ont vu dans la même année le fol espoir Obama mettre un clap de fin à l’ère Bush fils. Parmi tant d’autres, des fenêtres sur le Proche et Moyen-Orient seront ouvertes. A People in the Shadows de Bani Khoshnoudi permettra de saisir toute la complexité de la société iranienne, loin des fantasmes et des simplifications dont on est abreuvé. L’enquête mondiale de Yoav Shamir sur les manifestations modernes de l’antisémitisme entrera fortement en collision avec l’actualité récente, Defamation fera peut-être bien parler de lui. L’Europe, l’Asie et, dans une moindre mesure, l’Amérique latine seront également largement représentées.
Les rétrospectives
Sous des formes multiples, le festival rendra hommage à des proches. C’est le cas de celui rendu à Pierre Perrault, disparu depuis 10 ans. On pourra (re)découvrir toute l’attention portée par le cinéaste québécois à la parole et aux rapports de l’homme à la nature, par exemple dans Pour la suite du monde (1963). Le travail de Denis Gheerbrant sur Marseille sera présenté tout au long de la journée du 8 mars ; une exploration et un regard décalés sur la cité, ses habitants, ses recoins et ses nombreuses aspérités. Comme l’indique l’intitulé « News from », cette section donnera des nouvelles de figures proches du Cinéma du Réel, parmi lesquelles Gustav Deutsch, Harun Farocki ou encore le Philippin Raya Martin. Lithuania and the Collapse of USSR de Jonas Mekas, projeté en avant-première le dimanche 15 mars, constituera un moment fort de cette édition. De 1989 à 1991, le cinéaste a enregistré quotidiennement les bulletins d’informations à propos de la Lituanie, son pays de naissance dont il s’est exilé en 1949, suivant ainsi la gestation puis la naissance d’une nation indépendante. Quant à la « Mémoire du Réel », elle propose de ramener à la surface quelques films qui ont fait l’actualité d’un festival désormais plus que trentenaire : c’est aussi l’âge de Cochon qui s’en dédit de Jean-Louis Le Tacon et Thierry Le Merre (1979).
« Exploring Documentary » se penche sur des artistes qui pratiquent la désobéissance technique dans un contexte où le progrès dicte l’adoption de nouveaux standards, formats ou supports. Réinvestissement d’outils anciens, détournement technologique, radicalisation des usages : « Exploring Documentary » propose un panorama intrigant et stimulant qui rend évident que la pratique de l’image réside dans l’appropriation d’une technique pour la soumettre à un regard particulier.
Il sera de bon ton de se perdre dans les « Mille lieux » en compagnie de réalisateurs tels qu’Andreï Tarkovski, Pier Paolo Pasolini, Chris Marker, Chantal Akerman ou Alexandre Sokourov. Les lieux, la manière de les capter, les représenter, les enregistrer, de les parcourir, voilà une matière inépuisable qui touche à la quintessence du 7e art : le rapport du cinéaste au monde. Ce n’est a priori pas le cas de la télévision. Et pourtant, « La Télévision à l’avant-poste » revient sur une vingtaine d’années de création du petit écran au temps de l’ORTF. Difficile de ne pas voir un pied de nez aux débats actuels autour de la réforme de l’audiovisuel public mené à la hussarde par le pouvoir présidentiel… Mais en mettant en évidence la qualité des contributeurs (entre autres Jean-Daniel Pollet, Jean Eustache, Marguerite Duras, Pierre-André Boutang, Jacques Rozier…) de ces années-là, cette rétrospective déplace le problème avec intelligence pour constater que ce qui manque à la télévision actuelle, c’est avant tout le talent, l’audace et la créativité. En marge de cette rétrospective, à noter que le philosophe et comédien Jacques Sojcher donnera le mardi 10 mars une (fausse) conférence sur le petit écran qui promet beaucoup. Comme l’ensemble foisonnant de cette édition 2009.