Le festival de Gérardmer a fêté sa quinzième édition du 23 au 27 janvier 2008 dans une atmosphère encore une fois incroyablement festive et décontractée. Désireuse de marquer le coup, l’équipe de Fantastic’Arts offrit aux spectateurs et au prestigieux jury composé de « maîtres du genre » une foule de manifestations (expositions, salon littéraire, colloque…) et une programmation dense et excitante qui fit immédiatement oublier la médiocrité de la sélection précédente.
Devenu au fil des ans le rendez-vous français annuel incontournable de tous les amoureux de cinéma fantastique, le festival de Gérardmer n’a désormais plus rien a envier à son prédécesseur, le mythique festival d’Avoriaz. Grâce à son ambiance chaleureuse, au cadre magnifique dans lequel il se déroule, et à la qualité des films projetés, Fantastic’Arts voit en effet sa fréquentation augmenter d’édition en édition, à tel point qu’il arrive aujourd’hui à la troisième place des festivals français en terme de nombre de spectateurs (derrière Cannes et le festival du film américain de Deauville).
Le festival a ses aficionados et tous les ans, les mêmes visages se retrouvent dans les files d’attentes : les férus de fantastique sont de fidèles cinéphiles passionnés et ils ne viennent pas des quatre coins de la France pour apercevoir quelques « pipoles » ou autres starlettes télévisuelles. L’ayant bien compris, les organisateurs ont concrétisé un fantasme de fan en réunissant dans le même jury neuf cinéastes majeurs. Cette année, on pouvait ainsi croiser au détour des petites ruelles sombres de la ville vosgienne le cinéaste japonais Takashi Shimizu (The Grudge), l’Anglais Neil Marshall (The Descent), le producteur et réalisateur Sean S. Cunningham (Vendredi 13), les grands Ruggero Deodato (Cannibal Holocaust), Jess Franco (L’Horrible Docteur Orloff) ou encore le président du jury Stuart Gordon (Re-Animator) aux bras de la très grande (en terme de taille cette fois) Kristanna Loken (le cyborg de Terminator 3), seule femme et touche glamour au sein de cet exceptionnel jury.
Placé sous le thème de la métamorphose, la sélection réservait aux festivaliers un impressionnant lot de bonnes surprises, aussi bien au sein de la compétition que dans les autres sections, mais également quelques franches déceptions. Et étonnamment, ce sont les « maîtres » dont on attendait impatiemment les nouvelles œuvres qui ne se montrèrent pas à la hauteur (George Romero avec le modeste Diary of the Dead, Dario Argento avec l’involontairement hilarant Mother of Tears).
C’est donc du côté du jeune cinéma qu’il fallait cette année se tourner : les films ambitieux et intelligents de réalisateurs beaucoup moins expérimentés montrèrent l’excellente vitalité du genre. On pense ici à Teeth, All the Boys Love Mandy Lane ou Joshua mais spécialement aux trois œuvres espagnoles présentées en compétition ([Rec], L’Orphelinat et Le Roi de la montagne) qui confirmèrent que le pays de Cervantes est bel et bien le vivier le plus stimulant du cinéma fantastique contemporain.
« Je filme pour laisser une trace de ce qui se passe » (Diary of the Dead)
Une nouvelle génération de cinéastes formée à l’heure du numérique et de la facilité de création et de diffusion de contenus serait donc en train d’émerger, habitée par certaines questions récurrentes : les images que l’on trouve sur le net, prises sur le vif grâce aux caméras numériques et que l’on présente comme dénuées de mise en scène, seraient-elles des témoignages plus « vivants » de notre monde ? Garantissent-elles une plus grande crédibilité ?
Ainsi, trois des dix films présentés en compétition, Cloverfield, [Rec] et Diary of the Dead présentaient une esthétique similaire (caméra imitation DV au poing) et optaient pour le dispositif du « faux documentaire » comme dans le Projet Blair Witch, montrant des images que des personnages du film auraient eux-mêmes filmées. Pour reprendre J.-L. Godard citant André Bazin dans Le Mépris, ce cinéma substituerait à notre regard un monde qui s’accorderait non plus à notre désir mais à notre hypothétique point de vue par le biais de celui du personnage (dont nous prenons la place par processus d’identification). Serait-ce le moment d’affronter « la réalité » ? Les festivaliers furent confrontés à ces images tremblotantes dès la soirée d’ouverture lors de la projection du très attendu Cloverfield de Matt Reeves, produit par J.J. Abrams.
Cloverfield
Filmé en caméra portée comme s’il s’agissait d’un film amateur, Cloverfield met en scène un groupe de jeunes déambulant dans un Manhattan ravagé par un monstre géant. Après un bon quart d’heure de présentation superflu, le film enchaîne les séquences vraiment impressionnantes avec efficacité mais ne prend malheureusement jamais le temps de développer ses personnages. On pense beaucoup à la nouvelle version de La Guerre des mondes réalisée par Spielberg ou au chef‑d’œuvre de Bong Joon-ho, The Host, mais ici, la subtilité n’est pas de mise. On regrette que l’étiquette « film de monstre post-11/9 » où la bête serait une métaphore du terrorisme soit bien trop présente et que le scénario ne soit pas plus fouillé. Malgré un dispositif intéressant plutôt bien exploité qui nous plonge au cœur de l’action, il est difficile à la fin de la projection de savoir de quoi parle vraiment le film (de survie, d’amitié, de notre vulnérabilité ?). Même si Cloverfield se voit avec plaisir, on finit par se rendre compte que derrière la poudre aux yeux il ne reste pas grand-chose.
Diary of the Dead
Contrairement à Cloverfield qui évite le message donc, Diary of the Dead du vétéran George Romero, cinquième épisode de sa saga des morts-vivants, pose de nombreuses questions à son spectateur. Disposant d’un budget nettement moins conséquent que pour son récent Land of the Dead, l’immense cinéaste n’abandonne pas son approche politique du fantastique et continue de développer ses thèmes de prédilection. Mais bien que des questions pertinentes soient soulevées et que Romero essaie de se renouveler dans la forme, le résultat n’est malheureusement pas à la hauteur de ses précédents films. Au service d’un scénario intelligent, bourré de mises en abyme, dans lequel des étudiants en cinéma filment l’invasion du monde par des zombies, le style « faux film d’archives » est ici bien moins crédible que dans Cloverfield ou [Rec] et l’usage systématique de la voix-off lasse quelque peu. Diary of the Dead n’est donc pas le chef‑d’œuvre espéré mais reste tout de même un bon film d’épouvante mineur, efficace et divertissant, qui sait parfois être drôle (une scène hilarante avec un muet restera dans les annales) et réserve quand même de bons petits passages gores.
[Rec]
Le très attendu [Rec] des talentueux Paco Plaza et Jaume Balagueró (réalisateur de Fragile et cinéaste le plus primé à Gérardmer avec un total de onze prix, rien que ça !) n’a pas démenti les rumeurs qui couraient à son sujet et fit l’effet d’une véritable bombe. Ce petit chef‑d’œuvre tourné pour 800 000 euros, dans lequel on suit deux jeunes journalistes partis faire un reportage sur une caserne de pompier, terrorisa littéralement une salle hyper réceptive et euphorique. Impressionnant de maîtrise et d’intelligence, le film glace le sang comme rarement, notamment grâce à une approche hyper réaliste d’un scénario simple mais réfléchi. Le spectateur est scotché à un wagon de montagne russe pendant une heure et demie et a du mal à se relever après la chute finale, une scène de terreur extraordinaire. [Rec] sera donc sûrement le film d’horreur de l’année (à voir dès sa sortie française, prévue pour avril 2008) et confirme tout le bien qu’on pensait du cinéma espagnol contemporain.
Le cinéma fantastique espagnol au plus haut niveau
Ce n’est plus à prouver : le cinéma fantastique espagnol est en grande forme. Et ce depuis plusieurs années. À tel point que certains parlent même de « nouvelle vague ». Rien d’étonnant donc à ce que cette quinzième édition rende hommage au cinéma ibérique fantastique à travers la présentation d’une rétrospective d’une dizaine de films plus ou moins récents (allant de L’Ange exterminateur de Luis Buñuel au surestimé Abandonnée de Nacho Cerda), la présence du « pape du bis » Jess Franco qui, à 78 ans, continue toujours de tourner, et la sélection de trois films en compétition officielle.
L’Orphelinat et Le Roi de la montagne
Après Rec et sa mécanique de la peur bien huilée, ce fut au tour de L’Orphelinat, produit par Guillermo del Toro (Le Labyrinthe de Pan) et réalisé par le jeune Juan Antonio Bayona de faire frémir les festivaliers. Habile mélange de fantastique et de mélodrame, ce premier long-métrage impressionne par sa maîtrise. Plus gros succès de tous les temps au box-office espagnol, le film ne révolutionne pas le genre mais, fort d’un scénario bien ficelé, d’une photographie magnifique et d’un excellent casting (l’actrice Belén Rueda en tête), arrive à distiller une atmosphère pesante et offre quelques séquences vraiment effrayantes. Et même si sa volonté de plaire au plus grand nombre peut agacer (le film aurait pu être moins consensuel) et que ses influences sont très palpables (une scène est directement empruntée au Poltergeist de Tobe Hooper), L’Orphelinat est une sympathique ghost story comme on aimerait en voir produites en France. Dernier film espagnol, Le Roi de la montagne de Gonzalo López-Gallego, est quant à lui un survival auteuriste fort plaisant comme l’avait été Wolf Creek deux ans auparavant. Armé d’un scénario malin regorgeant de bonnes idées et prenant le temps de travailler ses personnages et son histoire, le réalisateur livre un petit film très bien ficelé où le suspense est manié avec brio.
Vive la série B adolescente !
En parlant de films plus mineurs, comme tous les ans, de nombreuses séries B dans lesquels de jeunes tourtereaux meurent dans d’atroces souffrances occupaient les écrans géromois pour le plus grand plaisir du festivalier. Mais cette fois, avec un peu d’originalité en prime !
Teeth
Dans la famille des bonnes surprises, on retiendra le très attachant et osé film indépendant américain Teeth qui conte les aventures d’une jeune puritaine moyenne qui découvre que son vagin est pourvu de dents (!). Le film ne fait pas de compromis et se place dans la lignée du très réussi Ginger Snaps de John Fawcett. Même si son thème peut paraître trivial à première vue, Teeth n’hésite pas à tordre le cou aux clichés du genre et développe en fait une métaphore maligne de la mutation d’une adolescente en jeune femme ainsi que des réflexions intéressantes sur la peur du passage à l’acte sexuel, l’hypocrisie de la société puritaine et le pouvoir du sexe féminin, bien souvent sous-estimé. Bourré d’humour et de scènes gores (la salle était à la fois écœurée et hilare lors des scènes de sexes tranchés), porté par une jeune actrice très douée, le film se laisse découvrir avec un profond plaisir, même si le rythme n’est pas toujours très bien maîtrisé et qu’on sent par moment la faiblesse du budget.
All the Boys Love Mandy Lane
Autre petit film à retenir, le faux slasher All the Boys Love Mandy Lane de Jonathan Levine (passé juste après l’oubliable slasher sous champignons hallucinogènes Shrooms de Paddy Breathnach) partage de nombreux points communs avec Teeth, mettant en scène une jeune vierge sollicitée par tous les garçons de son lycée. Le jeune cinéaste étonne par sa capacité à marier les genres et les influences (comédie pour ados, slasher, survival), et par son traitement bienvenu de la nostalgie des amourettes adolescentes. Il est dommage cependant qu’après un début très réussi, le scénario s’essouffle dans une succession de meurtres sans originalité jusqu’à un twist final dont on se serait bien passé.
Rogue
Autre série B, Rogue de Greg McLean ne procure pas, quant à lui, la claque espérée depuis la vision du très bon Wolf Creek en 2006. Film d’aventure horrifique dans lequel un groupe de vacanciers échoués sur une île en plein bayou australien est confronté à un crocodile géant, Rogue n’arrive pas à convaincre. La première partie est pourtant alléchante et présente des paysages magnifiques mais le scénario ne décolle jamais et on peine à trouver de l’intérêt. Les personnages ne sont pas attachants et leurs réactions semblent bizarres (une femme voit son mari se faire avaler par un monstre de 8 mètres mais ne bronche pas), ce qui compromet notre implication. Le film n’est toutefois pas complètement raté et réserve quand même quelques bonnes scènes (même si on aurait aimé voir un peu plus de sang), notamment celles se déroulant dans la grotte du crocodile, lui permettant de s’imposer comme l’un des films de crocos les plus réussis (mais bon, vu la concurrence…). En tout cas, Rogue était toujours meilleur que l’autre film de crocodiles présenté dans la sélection d’inédits vidéos, Black Water de D. Nerlich et A. Traucki où il ne se passe (presque) rien.
Des films plus « sérieux »
Joshua
À côté de ces B‑movies modestes à voir idéalement entre amis autour d’une pizza, le festival proposa également des films beaucoup plus classiques paraissant du coup assez fades comme le navet coréen Epitaph des frères Jung, l’esthétisant The Broken de Sean Ellis (son deuxième film après Cashback) ou l’Américain Joshua de George Ratliff. Ce dernier est un petit film malin au casting exceptionnel (avec entre autre un Sam Rockwell impeccable) racontant l’histoire ambiguë d’un enfant surdoué pourrissant la vie de ses parents. Lorgnant du côté de La Malédiction et de Shining sans jamais paraphraser ses modèles, le film possède une très belle photographie signé par notre Benoît Debie national et arrive à tenir ses spectateurs en haleine avec trois fois rien. Cependant, on a du mal à comprendre ce que faisait ce thriller psychologique dans une sélection normalement réservée aux films d’épouvante.
Mother of Tears (La Terza Madre)
Le festival proposa également une nuit « maîtres du genre » durant laquelle des classiques réalisés par les membres du jury furent projetés (L’Incinérateur de cadavres de Juraj Herz, Evil Aliens de Jake West…) et présenta le nouveau film d’un autre maître en clôture, le Mother of Tears de Dario Argento. Attendu par ses fans depuis presque trente ans, ce troisième volet de la trilogie des Trois Mères a bien sidéré la salle, mais pas forcément pour de bonnes raisons. À moins de le prendre au 36ème degré, il n’y a quasiment rien à sauver de ce film extrêmement mauvais à l’intrigue digne d’une rédaction d’un enfant de dix ans. Cela aurait pu être un supplice si l’on ne pouvait y ressentir le plaisir d’Argento à filmer des femmes nues fortement pulmonées et des scènes gores grand-guignolesques. On aurait préféré ne pas le voir et continuer de fantasmer…
Mise à part cette grosse déception, le bilan de ce 15ème anniversaire est donc plutôt positif et a permis de faire de jolies découvertes. À travers sa sélection de courts-métrages français, on a également pu faire la connaissance de deux jeunes réalisateurs talentueux dont nous suivrons le parcours : David Morley qui prouve sa maîtrise de la mise en scène dans Morsure (et qui a depuis tourné son premier long, Mutants, avec Hélène de Fougerolles), mais surtout Arnaud Malherbe qui a signé avec Dans leur peau un très bon film plein d’humour et de bonnes idées et à qui l’on souhaite de s’atteler prochainement à un projet plus ambitieux.
Ces réussites font d’ailleurs regretter l’absence de films français dans la sélection (hormis le nanar fun et décomplexé Frontière(s) de Xavier Gens présenté en séance spéciale) et on espère en retrouver l’année prochaine dans les salles d’un festival toujours aussi accueillant. Enfin pour conclure, un grand merci aux glaces Thiriet pour leurs 25 000 glaces distribuées et aux « Mysterious Fucked Face Guys » (groupe de festivaliers déguisés en freaks) pour avoir mis l’ambiance. On espère tous les retrouver pour la 16ème édition.