Que le nouveau film de Cary Fukunaga, soudainement propulsé au rang de cinéaste à suivre après le carton de True Detective saison 1, se déroule dans un « pays africain sans nom » est en soi un symptôme de la dimension passe-partout de son auteur, caméléon capable de traverser le Mexique (Sin Nombre), la Louisiane (True Detective) ou encore les plaines écossaises (Jane Eyre) sans jamais vraiment marquer les esprits. C’est sous la bannière de Netflix que le jeune cinéaste revient au format du long-métrage avec cette histoire d’enfance volée entre Empire du Soleil (un gamin déraciné perdu dans les tourments de la guerre) et Apocalypse Now (plongée au cœur des ténèbres en compagnie d’un énigmatique militaire rebelle) mais dénuée de la moindre identité formelle. Tout est ici affaire d’ornement. Un plan a priori anodin, mais in fine emblématique, met en lumière l’horizon du film : au milieu d’une des scènes de harangues du « Commandant » (Idris Elba en colosse vaguement charismatique mais sans aucune profondeur psychologique), toutes filmées de la même manière (champ-contrechamp, raccord sur le visage encore innocent du gamin), la caméra panote soudain autour du chef militaire, sur le point d’annoncer le départ de ses troupes. L’effet, un peu clinquant et à la lisière du ridicule, cherche à dynamiser la séquence sans réellement la sortir de sa torpeur ou à accompagner l’amorçe d’un nouvel élan narratif. Les recettes de mise en scène et de montage de Fukunaga sont trop automatiques pour émouvoir – en témoigne la scène-clef où Agu, le petit garçon au centre de l’intrigue, se retrouve confronté à l’injonction de tuer un homme. Fukunaga illustre le conflit moral qui pèse alors sur les épaules de l’enfant comme on l’a vu mille fois au cinéma : en procédant à une accélération de la découpe et à un resserrement du cadre sur le visage de l’enfant à chaque nouveau plan.
On pourrait s’offusquer de cette forme aux accents parfois publicitaires (filtres rouges, attaque au napalm qui ressemble à un feu d’artifice) pour dépeindre l’horreur de la guerre, mais ce serait trop facilement charger Beasts of No Nation sur sa vision proprette de la barbarie là où le film est avant tout coupable d’un déficit de croyance. Car Fukunaga ne traite qu’à moitié ses personnages et ses situations, gravite autour du corps imposant d’Elba sans vraiment jamais donner à voir et comprendre les motivations de ce militaire d’opérette, comme il ne parvient pas à saisir le trajet moral de son héros enfantin. Alors il s’en remet à des « trucs » de scénario : la piste de l’enfance sacrifiée par un ogre narcissique est forcée par une scène de pédophilie laissée en hors-champ (scène inutile, sur laquelle le film ne reviendra jamais), la déshumanisation du garçon est accélérée par la consommation de drogues (cheville facile), la conscience de l’enfance s’exprime lorsqu’il s’adresse en voix-off à Dieu (!), etc. Moins paresseux que simplement dénué d’inspiration, ce téléfilm de luxe n’est qu’un panachage sans âme de scènes et de personnages empruntés ici et là.