Il faut ici légèrement contredire ce que disait tantôt le camarade Josué à propos d’une supposée répartition des films de la Mostra par « profils ». Equals n’est peut-être pas un blockbuster (il ferait plutôt partie de ces produits d’annexes « indie » des studios hollywoodiens), mais il reste un film d’un genre bien affirmé (l’anticipation dystopique) avec stars installées (Kristen Stewart, Guy Pearce) ou montantes (Nicholas Hoult) – et il est en compétition officielle, contrairement aux gros Black Mass et Everest. Là où il faut néanmoins rejoindre les précédentes observations, c’est que ce film accrédite avec entrain la tendance péniblement académique qui empèse le début de cette édition. Equals, en vérité, porte tristement bien son titre, au point qu’il pourrait bien être son propre sujet. D’abord, il se conforme servilement aux schémas les plus basiques et desséchés que le cinéma d’anticipation dystopique a tirés pour exploitation des œuvres fondatrices et réellement inquiètes (Le Meilleur des mondes, 1984…) : un ordre social uniformisant qui réprime les manifestations d’humanité ; un couple où l’attirance mutuelle inattendue se trouve en inadéquation avec l’ordre ; la réponse brutale de celui-ci. Et puis, on peut le situer à égale distance entre deux modèles de produits bien présents dans le genre : le film-culte surestimé Gattaca d’Andrew Niccol (qui a contribué à renouveler l’attrait pour le genre) et de récentes franchises visant le public adolescent (les Hunger Games, Divergente et autres Labyrinthe) – à distance mais surtout bien à la traîne.
Le réalisateur Drake Doremus prétend traiter son tableau futuriste avec le sérieux d’un Niccol. L’ennui est que le tableau exhibe une esthétique qui a bien vingt ans de retard : dans ce futur, les gens marchent encore comme sous Prozac, s’habillent et vivent en monochrome en écoutant de la musique classique, s’interdisent l’art. Inutile de chercher une projection alarmiste tirée du monde d’aujourd’hui, on est dans la pure récupération de clichés déjà dépassés par le présent au point que seule la publicité s’en sert encore, images et sons qu’on croirait presque conçus par Apple comme si la firme à la pomme restait en ce millénaire la seule à viser l’uniformisation du consommateur… Bref. C’en est au point que, dans un moment d’effort critique, on se prend à vouloir traiter ce film moins comme ce à quoi il ressemble le plus (un sous-Gattaca) que comme un ersatz des films pour ados susmentionnés (où la dystopie n’est qu’une toile de fond) qui se serait égaré dans la compétition – à faire abstraction de ce monde-gadget et à guetter les mêmes enjeux (théoriques) que dans un Hunger Games : comment traiter l’irruption du désir entre deux êtres qui s’étaient pourtant blindés contre lui, son camouflage, puis son brandissement comme défi à l’ordre… En vain. Doremus consacre sa centaine de minutes à illustrer lourdement le sérieux avec lequel il prétend traiter sa fable préfabriquée, à grands renforts de musique atmosphérique, de lumière délavée et cotonneuse, de flous envahissants : une charte esthétique en guise de mise en scène qui voudrait figurer le frémissement du sentiment dans un monde qui l’exclut, mais qui se révèle elle-même vide de toute âme.