Fellini est à l’honneur en cette fin d’année. La collection « Les Films de ma vie » vient en effet de sortir ces jours-ci pas moins de cinq longs-métrages du maestro, disponibles à l’unité ou en coffret, le tout accompagné de l’excellent documentaire Fellini, je suis un grand menteur.
On imagine à quel casse-tête ont dû se livrer les éditeurs de la collection « Les Films de ma vie » : choisir cinq films parmi les vingt-cinq que comprend la filmographie de Fellini n’a probablement pas été une mince affaire. Mais la cohérence qui se dégage de l’œuvre du cinéaste italien permet finalement au coffret sorti ces jours-ci d’en refléter l’univers sans le trahir. En associant chefs-d’œuvres, classiques, et raretés, l’éditeur a réussi son pari, et si la totalité de ces films était déjà disponible au sein d’un précédent coffret sorti début 2005, ici, en plus de les acquérir séparemment, on peux désormais aussi se procurer le rare (donc précieux) premier long-métrage de Fellini, Les Feux du music-hall.
Au rayon classique, on se tournera vers l’excellente édition de La Dolce Vita, dont la qualité du master rend l’achat obligatoire, et qui remplacera la précédente édition inférieure techniquement. Quant à I Vitelloni, c’est couplé à Juliette des esprits, réalisé dix ans plus tard, qu’il arrive dans les bacs. Deux films, deux époques : le premier en noir et blanc, le deuxième en couleurs saturées, ce sont deux visages de Fellini qui nous sont ici proposés.
Quant aux raretés, il faut mentionner le délicieux et méconnu Prova d’Orchestra, qui semble, par sa forme documentaire, faire écho au premier film de Fellini, Les Feux du music-hall (Luci del Varietà).
Datant de 1950, et co-réalisé avec Alberto Lattuada, celui-ci est édité pour la première fois en France, alors qu’il était trouvable outre-atlantique sous le titre de Variety Lights depuis six ans déjà dans la collection Criterion. Il est toujours intéressant de chercher dans le premier film d’un cinéaste ces « germes » que l’on retrouvera tout au long de son œuvre, de façon plus élaborée. L’aspect « documentaire » de ce film n’est finalement qu’une fausse piste, et l’œuvre entière de Fellini émane de ce film : pour lui, filmer la réalité, cela revient à filmer sa réalité intérieure, et donc ses fantasmes. Dès lors, en ajoutant de la poésie au réalisme du projet, Fellini marque le film de son empreinte.
Le film, particulièrement mal distribué, ne connut aucun succès, ruinant au passage Lattuada et sa femme, l’actrice Carla Del Poggio, dont l’interview dans les suppléments de cette édition nous apprend que celle-ci, après avoir vu ses espoirs sur ce film partir en fumée, décida de mettre un terme à sa carrière.
Du côté des suppléments, c’est au critique de cinéma Gilbert Salachas que revient la tâche d’évoquer la jeunesse de Fellini, dans une interview de dix minutes intitulée Fellini avant Les Feux du music-hall. Enfance turbulente dans une station balnéaire dans l’Italie fasciste, scolarité dans une école chrétienne, passion pour le dessin et le cirque, écriture de contes et de dialogues pour des BD, des romans photo, ou des émissions de radio, rencontre avec Giulia Masina… Professionnellement, la rencontre déterminante sera celle qu’il fait avec Rossellini, qui apprécie tant son travail de caricaturiste, et qui l’engage comme assistant et co-scénariste sur une poignée de films, dont Rome ville ouverte.
L’aspect (faussement) documentaire des Feux du music-hall trouve un écho dans la filmographie de Fellini vingt-huit ans plus tard, avec Prova d’Orchestra, qui s’attache à restituer une répétition d’orchestre, où chaque musicien parle (bien) de son instrument et du rôle qu’il y tient, le tout penchant inexorablement de plus en plus vers la folie et la démesure. Ce petit film (autant par sa courte durée – 70 minutes – que son budget – celui d’un téléfilm) eut néanmoins les honneurs d’une présentation cannoise, où il partagea les festivaliers, qui ne surent pas en mesurer l’enjeu testamentaire et la réflexion sur le statut de l’artiste, symbolisé par le chef d’orchestre, véritable double à l’écran du réalisateur.
Prova d’Orchestra est aussi un moyen pour Fellini de rendre hommage à son fidèle compositeur Nino Rota, qui lui livrait là sa dernière bande originale. En supplément, dans un sujet de 1982 tiré de l’émission Musiques au cœur, Fellini revient sur sa relation à la musique, et avoue clairement son ignorance en la matière, lui dont l’enfance « imbibée de catholicisme » et de musiques d’église solennelles et menaçantes lui a donné à vie une impression désagréable d’envahissement à l’écoute de la moindre note. La seule musique qu’il affectionne, c’est cet air tout simple, la « marche des gladiateurs » qu’on entend au cirque, et qu’il essaiera de caser dans à peu près tous ses films. Mais si Fellini n’était pas mélomane, Rota, lui, n’était pas vraiment cinéphile, et ne voyait jamais les films sur lesquels il travaillait, tout au plus en découvrait-il les images lors des enregistrements avec l’orchestre, alors qu’un écran les diffusait pour que le tout soit synchronisé. Et Rota ne voyait pas les films finis non plus, et ce pour la simple et bonne raison que le fait de se tenir assis dans une salle obscure n’avait comme effet sur lui que de le plonger dans un profond sommeil. Il est ainsi amusant de constater que l’association Fellini-Rota, une des plus brillantes de l’histoire du cinéma, résidait concrètement dans l’association de deux artistes qui n’entendaient rien à ce que faisait l’autre.
Quant à Fellini, je suis un grand menteur, il s’agit d’un portrait du maître constitué d’interviews, d’extraits de films (beaucoup proviennent de 8 ½, toujours indisponible en France, mais trouvable dans la collection américaine Criterion), d’images de tournages, ou encore de rushes. Fellini y confesse avoir été dès son enfance attiré par le statut « vagabond » et « canaille » de l’artiste. Lui que son père voyait médecin et sa mère cardinal a naturellement opté pour le cinéma, réaliser des films lui permettant de se réaliser lui-même. Fellini évoque également son rejet de l’improvisation, au profit de la « disponibilité », la bonne attitude consistant à « se rendre disponible à la chose qui est en train de naître ».
Donald Sutherland avoue avoir rencontré des difficultés lors du tournage de Casanova, dont il tenait le rôle-titre, le rapport de Fellini avec ses comédiens étant selon lui tyrannique. Le seul avec qui finalement cela se passait à merveille était Mastroianni, qui se foutait tellement de tout qu’il en devenait la marionnette idéale.
Quoi qu’il en soit, les images d’archives contenues dans ce documentaire sont précieuses, et c’est un bonheur de voir Fellini en train de diriger ses comédiens. Il en ressort le portrait d’un homme simple, qui confiait modestement : « Mes films naissent parce que je signe un contrat. Je touche une avance que je ne veux pas rembourser, alors je dois faire le film. »