Les deux premiers plans des Nuits de Zhenwu, le pénible long-métrage de Jiazuo Na présenté à Un Certain Regard, suffisent à résumer son projet d’écriture. Accrochée à un bateau, la caméra capte l’écoulement d’un fleuve dont le courant rapide imprime à l’image une série de lignes abstraites ; cut : en plan large, sans bouger, le capitaine du navire et un passager se tiennent debout, conférant une impression d’inertie à l’ensemble du cadre. Réalisé par un épigone de Jia Zhangke, ce premier film doit sa cohérence à la répétition d’une (unique) idée, à savoir que le mouvement des personnages est constamment entravé. Le passager en question, c’est Dongzi, ancienne petite frappe de Zhenwu dont les souvenirs forment le récit rétrospectif de ses amours interdits avec la femme de son patron, un caïd local. Désireux de fuir la ville avec cette dernière, le jeune homme voit toutefois ses plans compromis par la santé déclinante de son père, dont l’hospitalisation l’oblige à trouver rapidement de l’argent. Distillé de manière plus ou moins subtile (un exemple intéressant : après un accident de voiture, un protagoniste ne parvient pas à secourir la victime à cause de sa ceinture de sécurité), ce projet souffre d’un cruel déficit d’incarnation.
De fait, Les Nuits de Zhenwu apparaît comme un condensé des motifs typiques du polar chinois, devenu la coqueluche des festivals internationaux depuis les succès critiques de A Touch of Sin et de Black Coal. On pourrait ainsi s’amuser à relever sous la forme d’un « bingo » l’ensemble des clichés du genre : si les truands à la peine rappellent Xiao Wu, artisan pickpocket, et le cadre rural les derniers films de Jia Zhangke, le réalisateur nous gratifie aussi de nombreuses scènes éclairées par des néons (c’est sa tendance Diao Yi’nan) au son d’une musique éthérée à la guitare claire (pompée sur les bandes-originales de Bi Gan). Il s’agit d’ailleurs moins là de plagiats explicites que d’un réseau de références communes (le film a été tourné entre 2016 et 2021), ici convoquées sans aucune inventivité. Le scénario pâtit de dialogues ridicules (« Est-ce que la mort fait mal ? », question posée lors de l’agonie du père de Dongzi) que ne parviennent pas à sauver une mise en scène aux abonnés absents. À la fois trop long et inachevé, le film fait également preuve d’une misogynie particulièrement désagréable, le spectre de la virilité perdue constituant le point commun des personnages masculins. Refusant un temps de suivre l’exemple de son père (un truand macho responsable de la mort de son épouse), Dongzi finit par ravir la femme de son patron – qui, selon cette dernière, ne parvient pas à « agir comme un homme » – avant de se venger d’un ancien comparse dont le boitillement allégorise l’impuissance sexuelle tout au long du film. Que cette scène se déroule devant une enfilade de grues pointant vers le ciel révèle un horizon d’écriture aussi déplaisant que médiocre : pour devenir un vrai mec, encore faut-il apprendre à bander.