Quel mot barbare que ce « prequel » (préquelle ?) ! Mais rien ne vaut un néologisme pour désigner ce qui ressemble de plus en plus à une mode cinématographique. Alors que la notion de suites atteint son paroxysme (Saw étant une excroissance de cette déferlante qui commença dès les années 1980 avec des séries comme Vendredi 13) et que le remake bat son plein (Spider-Man déjà remaké, on croit rêver), les studios américains lorgnent désormais vers le passé et ses vieilles gloires en passant au crible les genèses des héros bankable qui leur assureront quelques subsides supplémentaires. Au petit jeu des origines, la décennie 00 et encore plus celle qui débute marquent une tendance forte qui dessine une société obsédée par le jeunisme, le rationalisme et qui édifie consciencieusement ses nouveaux mythes.
Forever Young
Magazines, séries… Partout de jeunes visages prennent le pouvoir. Normal que le cinéma suive la cadence en fouinant du côté teen pour rajeunir les castings de ses blockbusters. Exit les personnages vieillissants, fourbus voire ridés (mon dieu quelle horreur !). Gloire au lisse !
À bord de l’Enterprise version 1960, force est de constater que la moyenne d’âge frôle la cinquantaine. La série Star Trek met en effet en scène un Spock mûr (Leonard Nimoy) et un capitaine Kirk (William Shatner) ayant atteint la force de l’âge. Cette représentation, si elle parvenait à toucher le public de l’époque à la télé, se heurte aujourd’hui sur grand écran à un public plus proche du baccalauréat que de la retraite. Pour attirer en salle ces spectateurs friands de SF et d’effets spéciaux étourdissants, il a fallu songer à rajeunir un peu l’équipage lorsque l’idée d’une nouvelle adaptation cinématographique a germé.
Star Trek version 2009 narre donc les aventures des héros en devenir (Kirk et Spock en jeunes officiers que tout oppose), fringants et prêts à en découdre. Séduisants, ils incarnent parfaitement cette course à la jeunesse dans laquelle les médias se sont lancés. L’ancien est devenu has-been. Les héros du siècle passé, s’ils veulent survivre, doivent répondre aux codes contemporains et le jeunisme en est la pierre angulaire. Toutefois, le rajeunissement subi par la franchise ne se contente pas d’aligner des beaux gosses. La préquelle permet aussi, en jouant sur une connivence longue de plus de quarante ans entre le public et la saga, d’offrir des moments inédits que les fans attendaient (la rencontre des deux héros). Ce lifting revitalise ainsi les enjeux de la série tout autant que les protagonistes.
De Zachary Quinto (le méchant d’une autre série, Heroes) au réalisateur (créateur d’Alias et de Lost), il est aussi intéressant de constater la porosité qui existe entre télévision et cinéma. Outre les transfuges humains, le langage cinématographique lui-même est contaminé par la narration sérielle. Plus longue, plus dense, elle construit un monde et une temporalité contre laquelle le cinéma ne peut lutter sauf à produire suites et préquelles à tout va (un Star Trek 2 est déjà en projet pour 2012). Epaississant l’existence des personnages, ajoutant des épisodes de leur passé au corpus déjà connu, la préquelle dilate le temps et crée ainsi de nouveaux espaces pour de nouveaux épisodes. À bien des égards, ce parti-pris mené par JJ Abrams a permis de rebooster la franchise un peu sur le déclin, hormis chez les trekkistes purs et durs.
Cette année, une autre franchise a fait un bond dans le passé. X-Men : le commencement de Matthew Vaughn s’ouvre ainsi durant la Seconde Guerre mondiale. La séquence inaugurale met en scène Magnéto, alors enfant dans un camp de concentration, et l’apparition de ses pouvoirs se drape d’une intensité dramatique inédite. Se poursuivant dans les années 1960 en pleine guerre froide, le film nous fait découvrir Xavier encore valide, l’amitié entre les deux hommes et les désaccords qui mèneront à leur affrontement dans les épisodes réalisés par Bryan Singer. Cette revisitation des origines des X-Men permet une bien meilleure compréhension des visions opposées de Xavier et Magnéto quant à la place des mutants face aux humains. Mais la dimension jeuniste n’est pas pour autant oubliée. La présence de jeunes recrues mutantes, une clique d’adolescents (dont Mystique), procure au réalisateur des occasions scénaristiques rares dans le monde des super-héros (tout en offrant une surface de projection idéale au public-cible). L’innocence et la désinvolture de ces futurs super-héros fait ainsi mouche dans une scène qui respire la comédie teen. Ce mélange des genres (action, teen, romance) induit par la notion de préquelle, permet au film de rendre hommage aux grandes figures du comics sans oublier la facette entertainment et pop-corn propre aux blockbusters d’aujourd’hui.
Mais le jeunisme n’est pas le seul angle pour comprendre l’omniprésence des préquelles sur les écrans. Dans notre monde rationnel, où toute action se doit d’avoir une explication raisonnable, quasi-scientifique, la préquelle se présente comme l’arme ultime. Chercher à la racine, analyser les origines pour justifier une situation ultérieure, voici une autre possibilité offerte par la préquelle.
Discours de la logique
En 2002, lorsque Peter Webber réalise Hannibal Lecter : les origines du mal, la mythologie du cannibale bien éduqué a fait son chemin dans l’imaginaire de millions de spectateurs. Mais comment le docteur exquis et brutal du Silence des agneaux en est-il venu à goûter (et apprécier) la chair humaine ? Un petit retour en arrière s’impose. La lecture psychologisante du film (Hannibal est en quête de vengeance car il a souffert enfant) fait écho au tout explicatif qui nous cerne. Psychologues, psychanalystes, pas un jour sans qu’un « spécialiste » médiatique ne cherche à éclairer les motivations d’un passage à l’acte. Or, la puissance d’une fiction réside dans sa capacité à s’extraire de tout raisonnement logique pour exhiber une réalité alternative qui ne répond pas nécessairement à nos grilles d’interprétation. Malheureusement, cette mode de l’élucidation scientifique à tout prix commence à grignoter le mystère des origines de grandes figures cinématographiques. Car si Hannibal se voit psychanalyser en 2002, une autre mythologie s’est vue passer au crible d’une relecture scientifique.
Rise of the Planet of the Apes de Rupert Wyatt se présente comme la préquelle de La Planète des singes. Comment la Terre est-elle tombée aux mains des primates ? Qu’est-il arrivé aux quelques milliards d’humains qui la peuplaient ? Voici quelques décennies que le public tergiverse, échafaude les scenarii les plus improbables pour expliquer l’ensablement de la statue de la Liberté. Mais la réponse arrivée cet été peut laisser un peu sur sa faim. La révolte des singes n’est dans cette version qu’un dommage collatéral d’une expérience scientifique qui tourne mal. Alors que les raisons du soulèvement auraient pu être évolutionnistes (le temps des hommes fini, une nouvelle race prend le pouvoir), mystiques (apparition d’une conscience animale) ou surnaturelles, cette préquelle opte encore une fois pour une réponse rationaliste, confisquant qui plus est aux primates leur affranchissement pour en faire une manipulation humaine. Égoïstement humaine, cette Planète des singes manque d’originalité et pèche par son scientisme tout-puissant.
Toutefois, comme toute règle n’existe que par ses exceptions, il est une préquelle qui se refuse à expliciter ses origines, mais se plaît au contraire à obscurcir encore davantage les esprits pour le plus grand plaisir des spectateurs. Le grand David Lynch décide en 1991 de donner une préquelle à sa série culte Twin Peaks. Fire Walk with Me narre les trois derniers jours de Laura Palmer (retrouvée morte dans les premières minutes du premier épisode de la série). Alors qu’on pouvait s’attendre à la révélation de certains mystères, Lynch préfère ouvrir encore de nouvelles pistes, laissant son public libre d’interpréter comme bon lui semble les éléments qu’il distille. Cet usage de la préquelle, contre-exemple absolu du désir d’explication rationnelle, pose les bases de ce qui sera sans doute la seule justification pertinente de ce type de films, à savoir la mise en place d’une théogonie indispensable à l’édification d’une véritable mythologie.
Les prémisses d’un mythe
Tout mythe qui se respecte se doit d’avoir une genèse parfaitement établie. Qui sont les parents de Zeus ? Pourquoi les Dieux ont-ils créé Pandore ? Autant de questions dont les réponses assoient une fiction qui se veut universelle. Le cinéma a lui aussi mis au monde des personnages mythiques qui, s’ils veulent perdurer, doivent dévoiler un peu de leur passé.
Quand George Lucas invente l’univers de La Guerre des étoiles, il sait qu’il devra un jour donner une préquelle à sa trilogie. Entre 1999 et 2005, il réalise le triptyque (la prélogie) comprenant La Menace fantôme, L’Attaque des clones et La Revanche des Sith et donne enfin une histoire et un visage aux parents de Luke et Leia. Ces épisodes considérés par beaucoup comme mineurs, revêtent toutefois une importance. Ils entérinent les origines du mythe Dark Vador. Le projet de Lucas se révèle grâce à cette partie un microcosme cohérent et auto-référent qui peut alors accoucher d’un héros définitif.
Si les objectifs sont peut-être sensiblement différents (donner un visage à l’invisible), le remake d’Halloween par Rob Zombie se frotte à Michael Myers, un personnage devenu mythique. Alors que John Carpenter avait tout fait pour que son croque-mitaine soit une incarnation de la Mort, sans visage, sans voix, presque une idée, Zombie prend le contre-pied parfait en intégrant à son remake une première partie inédite sur l’enfance de Myers. Cette préquelle même si elle rationalise la violence de Myers (foyer bancal, pulsion incestueuse…) permet au mythe de s’incarner après avoir été effacé par la présence du masque. Depuis, Myers a pour le public une famille identifiable, une histoire personnelle et une motivation plus raisonnée que dans l’original (quitte à mettre sous le tapis la figure quasi immatérielle du Mal qu’était jusqu’alors le protagoniste).
Enfin, dans le genre mythologie revisitée, Batman Begins de Christopher Nolan rebat les cartes des origines de la vocation de Bruce Wayne. S’éloignant fortement de la vision burtonienne, la version de 2005 met en scène l’évolution qui conduit un homme à devenir un super-héros (alors qu’il n’a d’autre pouvoir que celui de l’argent et la vengeance comme moteur). Entraînement, débuts difficiles, cette genèse s’ingénie à suivre la naissance d’un mythe (celui du surhomme). Grâce à ce film, qui n’est pas une préquelle à proprement parler, Nolan s’est ouvert un boulevard pour développer à l’envi des épisodes ultérieurs de la vie de la chauve-souris masquée. Entre bonne affaire commerciale (reboot d’une série) et constitution d’une mythologie plus sombre et complète, Batman Begins a en quelque sorte inauguré la mode actuelle des préquelles de super-héros.
Futures préquelles
Quand un filon s’avère profitable, pourquoi s’arrêter de pomper, dirait un Shadock. Et pour cause. En 2012, quelques grosses productions très attendues continueront de creuser le sillon préquelle. De The Thing de John Carpenter (encore) à Frankenstein revu par Matt Reeves (Cloverfield), les retours vers le passé vont continuer leur course folle. Coïncidence amusante, les mastodontes du film de genre à tendance gore, Peter Jackson et Sam Raimi travaillent tous deux à la réalisation de préquelles tirées de livres pour enfants : Bilbo le Hobbit, préquelle au Seigneur des anneaux de JRR Tolkien pour Jackson, et Le Magicien d’Oz de L. Frank Baum pour Raimi. Après avoir été parmi les réalisateurs les plus créatifs et inventifs (Evil Dead et Braindead regorgeant d’idées de mise en scène et de trouvailles techniques), voilà que les bougres se mettent à recycler des romans déjà mythiques. Réussiront-ils à réactiver voire démultiplier la portée d’œuvres aussi marquantes ? À suivre… si j’ose dire.